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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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deux sergents de
cette bonne comtesse, deux coquins comme tous ceux qu’elle emploie, vendables
au plus offrant, et qui laisseront mes amis pénétrer dans la place. Si je ne
peux jouir de ce qui m’appartient, au moins j’escompte un solide pillage dont
je vous chargerai de vendre le butin.
    — Eh là, Monseigneur, vous me
mêlez à une belle affaire !
    — Bah ! Pendu pour pendu,
autant que ce soit pour quelque chose ! Puisque vous êtes banquier, vous
êtes voleur, et le recel n’est point pour vous effrayer ; je ne détourne
jamais les gens de leur état.
    Depuis l’arbitrage, il était de la
meilleure humeur du monde. Il remit au banquier le message qu’il voulait faire
parvenir en Artois.
    — Au sire de Fiennes, n’est-ce
pas, et à nul autre. Souastre et Caumont sont trop surveillés… Adieu, ami, je
vous aime bien.
    Il se leva, agrafa le fermail d’or
de son manteau ; puis, plaquant les mains aux épaules de Guccio :
    — Amusez-vous, mon gentillet,
amusez-vous avec les dames de haut lignage ; c’est de votre âge. Quand
vous aurez pris quelques années, vous saurez qu’elles sont aussi catins que les
autres, et que les plaisirs dont elles se font marchandes, on les a pour dix
sols au bordeau.
    Il sortit, et l’on entendit pendant
plusieurs secondes son grand rire résonner dans l’escalier.
    — Alors, mon neveu, à quand la
noce ? demanda Tolomei. Je ne t’attendais pas si vite.
    — Mon oncle, mon oncle, il faut
que vous m’aidiez ! s’écria Guccio. Savez-vous que ces gens sont des
monstres, qu’ils ont interdit à Marie de me revoir, que leur cousin du Nord est
vieux et difforme, et qu’elle va sûrement en mourir !
    — Quels gens ? Quel
cousin ? demanda Tolomei. J’ai l’impression, mon garçon, que tes affaires
n’ont pas avancé comme tu l’espérais. Conte-moi donc cela, en y mettant un peu
d’ordre.
    Guccio fit alors à son oncle le
récit de sa visite à Neauphle. Avec un sens tout latin de la tragédie, il ne
manqua pas de noircir le tableau. La jeune fille était séquestrée ; elle
avait risqué la mort, courant à travers les champs, pour supplier Guccio de la
sauver. La famille Cressay voulait la marier de force à un lointain parent,
personnage chargé de toutes les disgrâces corporelles et morales.
    — Un vieillard de quarante-cinq
ans ! s’écria Guccio.
    — Jeune vieillard… murmura
Tolomei.
    — Mais Marie n’aime que moi,
elle me l’a dit et redit. Et je sais bien qu’elle mourra si on la contraint
d’en épouser un autre. Mon oncle, il faut m’aider.
    — Mais de quelle manière
veux-tu que je t’aide, mon ami ?
    — Il faut m’aider à enlever
Marie. Je l’emmènerai en Italie, nous séjournerons là-bas…
    Spinello Tolomei, un œil clos,
l’autre ouvert, observait son neveu d’un air mi-inquiet, mi-amusé.
    — Je t’avais averti, mon
garçon ; je pensais bien que cela ne serait pas si facile, et que tu avais
tort d’aller t’enticher d’une fille de noblesse. Ces gens-là n’ont pas leur
chemise à eux ; ils nous doivent jusqu’au lit dans lequel ils dorment,
mais ils nous crachent au nez si nos garçons veulent y coucher. Oublie cette
aventure, crois-moi. Lorsqu’on nous fait insulte, c’est généralement que nous
avons tendu la tête pour la recevoir. Choisis donc quelque belle fille de nos
familles, fortement pourvue de l’or de nos banques, qui te donnera d’aussi
beaux enfants, et dont le char éclaboussera les pieds crottés de ta jouvencelle
de campagne.
    Guccio eut une soudaine inspiration.
    — Saint-Venant, n’est-ce pas le
nom d’un des alliés d’Artois ? s’écria-t-il. Si j’allais porter le message
de Monseigneur Robert, et puis trouver ce Saint-Venant, le provoquer et le
tuer ?
    Il avait déjà la main sur la dague.
    — Bonne chose, dit Tolomei, et
qui ne fera pas de bruit. Et puis les Cressay choisiront pour ta belle un autre
parti, en Bretagne ou en Poitou, et il faudra que tu ailles le tuer aussi. Tu
te prépares du travail !
    — J’épouserai Marie ou
personne, mon oncle, et je ne laisserai personne l’épouser.
    Tolomei éleva les mains au-dessus de
la tête.
    — La voilà bien la
jeunesse ! Dans quinze ans, de toute façon, ta femme sera laide ; et
tu te demanderas, en la regardant, si ce visage fripé, ce gros ventre, ces
mamelles pendantes valaient vraiment la peine que tu t’es donnée.
    — Ce n’est pas vrai, ce n’est
pas vrai ! Et puis, je ne pense

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