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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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savait long sur bien des
choses ; mais pourquoi gardait-il toujours ses renseignements pour
lui ?
    Evrard s’était mis à trembler.
Philippe de Poitiers ne le quittait pas des yeux. L’homme correspondait bien à
la description qu’on lui en avait faite.
    — As-tu été tourmenté
autrefois ?
    — Ma jambe, Monseigneur, ma
jambe répond pour moi ! s’écria Evrard.
    Le Hutin pensait « C’est trop
de temps que prennent ces physiciens. Clémence n’est pas grosse, et nul n’ose
venir m’en avertir. » Il fut rappelé à la réalité immédiate par Evrard qui
s’était jeté à ses genoux et suppliait.
    — Sire ! Sire de grâce, ne
me faites point tourmenter à nouveau ! Je jure Dieu que je veux confesser
le vrai.
    — Il ne faut point jurer, c’est
péché, dit le roi.
    Les deux bacheliers obligèrent
Evrard à se relever.
    — Il conviendrait d’éclaircir
aussi ce point de l’ost, dit Poitiers. Continuons l’interrogation.
    Miles de Noyers demanda.
    — Alors, Evrard, que vous a
déclaré le cardinal ?
    L’ancien Templier, mal revenu de sa
panique, répondit d’une voix précipitée.
    — Le cardinal nous a déclaré, à
Jean du Pré et à moi, qu’il voulait venger la mémoire de son oncle et devenir
pape, et que pour cela il lui fallait détruire les ennemis qui lui faisaient
obstacle ; et il nous promit trois cents livres si nous pouvions l’y
aider. Et les deux premiers ennemis qu’il nous désigna…
    Evrard hésita, leva les yeux vers le
roi, les baissa.
    — Allons, poursuivez.
    — Il nous désigna le roi de
France et le comte de Poitiers, en nous disant qu’il serait bien aise de les
voir passer les pieds outre.
    Le Hutin, machinalement, contempla
ses propres souliers quelques secondes, puis sursautant, il s’écria :
    — Les pieds outre ? Mais
c’est tout juste ma mort que complote ce méchant cardinal !
    — Tout juste, mon frère, dit
Poitiers en souriant ; et la mienne aussi.
    — Et vous, le boiteux, ne
saviez-vous pas que pour un tel forfait vous seriez brûlé dans ce monde et
damné dans l’autre ? continua le Hutin.
    — Sire, le cardinal Caëtani
nous avait assuré que lorsqu’il serait pape il nous ferait absoudre de tout.
    Le buste penché, les mains aux
genoux, Louis dévisageait avec stupeur l’ancien Templier En même temps les
avertissements de maître Martin lui revenaient à l’esprit.
    — Me déteste-t-on si fort que
l’on désire me tuer ? dit-il Et de quelle façon le cardinal voulait-il
m’expédier les pieds outre ?
    — Il nous dit que vous étiez
trop bien gardé, Sire, pour qu’on pût vous atteindre par le fer ou par le
poison, et qu’il fallait procéder par envoûtement. À cette fin, il nous fit
bailler une livre de cire vierge, que nous mîmes à mollir en un bassin d’eau
chaude, dans la chambre aux fourneaux. Puis frère Jean du Pré fabriqua bien
habilement une image d’homme, avec une couronne dessus – Louis X fit un
rapide signe de croix – et ensuite une autre plus petite, avec une plus petite
couronne. Pendant notre travail, le cardinal vint nous visiter, il sembla tout
joyeux, et il se prit même à rire en regardant la première image et il nous dit
« Il a moult grand membre ».
    — Et après ? demanda le
Hutin nerveusement. Qu’avez-vous fait de ces images ?
    — Nous y avons mis les papiers.
    — Quels papiers ?
    — Les papiers qu’il faut placer
dans l’image avec le nom de celui qu’elle figure, et les mots de la
conjuration. Mais je vous jure, Sire, s’écria Evrard, que nous n’avons pas écrit
votre nom, ni celui de Monseigneur de Poitiers ! Au dernier moment, nous
avons pris peur, et nous avons inscrit les noms de Jacques et Pierre de la
Colonne.
    — Les deux cardinaux Colonna,
précisa Philippe de Poitiers, parce que le cardinal nous les avait cités aussi
comme ses ennemis. Je jure, je jure que c’est ainsi !
    Louis X se tourna vers son
cadet comme s’il cherchait avis et appui.
    — Croyez-vous, Philippe, que
cet homme dise là le vrai ? Il faut le faire bien travailler par les
tourmenteurs.
    Au mot de « tourmenteur »,
Evrard tomba une seconde fois à genoux, et se traîna vers le roi, les mains
jointes, en rappelant qu’on lui avait promis de ne pas le torturer s’il faisait
des aveux complets. Un peu d’écume blanche lui moussait au coin des lèvres, et
la peur lui donnait un regard de dément.
    — Arrêtez-le ! Empêchez
qu’il ne me touche !

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