Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
Vom Netzwerk:
fut
obligée de se transporter dans le grand palais de la Cité qui lui semblait si
hostile et si froid.
    Ce fut là qu’eut lieu la
consultation des physiciens et des sages-femmes qui devaient se prononcer sur
sa grossesse.
    Le roi était fort agité le matin de
cette réunion et, pour tromper son impatience, il avait organisé une partie de
longue paume dans le jardin du Palais à quelques toises de l’île aux Juifs. Un
mur et un mince bras d’eau séparaient ce verger, où Louis courait après une
balle de cuir, de l’emplacement sur lequel, vingt-cinq mois plus tôt, le
grand-maître des Templiers se tordait parmi les flammes…
    Tout ruisselant de sueur, le Hutin
s’enorgueillissait fort d’un point que ses gentilshommes lui avaient laissé
gagner, lorsque Mathieu de Trye s’approcha d’un pas pressé. Louis interrompit
la partie et demanda :
    — Alors, la reine est-elle
grosse ?
    — On ne sait pas encore,
Sire ; les physiciens sont à délibérer. Mais Monseigneur de Poitiers vous
demande, s’il vous plaît, de le venir rejoindre d’urgence. Il est dans la
petite salle de justice, avec Monseigneur de Valois, Monseigneur de la Marche
et divers autres.
    — Je ne veux point qu’on
m’importune ; je n’ai point pour l’heure la tête aux affaires.
    — La chose est grave, Sire, et
Monseigneur de Poitiers affirme que des paroles vont se dire qu’il vous faut
entendre de vos oreilles.
    Louis, à regret, laissa choir la
balle de cuir, s’essuya le visage, remit sa robe par-dessus sa chemise et
dit :
    — Continuez sans moi,
Messeigneurs !
    Puis il rentra dans le Palais, en
ajoutant à l’intention du chambellan :
    — Aussitôt qu’on saura, pour la
reine, venez me prévenir.
     

VI

LE CARDINAL ENVOÛTE LE ROI
    L’homme n’était pas gardé par des
sergents ou des archers, ainsi qu’un prévenu ordinaire, mais encadré par deux
jeunes gentilshommes au service du comte de Poitiers. Il portait un froc trop
court qui laissait voir un pied tordu.
    Louis X lui porta à peine
attention. Il salua de la tête ses frères, son oncle Valois, et messire Miles
de Noyers, qui s’étaient levés à son entrée.
    — De quoi s’agit-il ?
demanda-t-il en prenant place au milieu d’eux et en faisant signe qu’on se
rassît.
    — D’une sombre et tortueuse
affaire de sorcellerie, nous assure-t-on, répondit Charles de Valois avec une
nuance d’ironie.
    — Ne pouvait-on charger le
garde des Sceaux de l’instruire lui-même, sans me déranger dans mes
soucis ?
    — C’est tout juste ce que je
faisais observer à votre frère Philippe, dit Valois.
    Le comte de Poitiers croisa les
doigts d’un geste tranquille.
    — Mon frère, dit-il, la chose
m’est apparue importante, non point tant pour le fait de sorcellerie, qui est
assez commun, mais parce que cette sorcellerie semble s’être accomplie au sein
même du conclave, et qu’elle nous ouvre la vue sur les sentiments que certains
cardinaux nourrissent à notre endroit.
    Un an plus tôt, au seul mot de
conclave, le Hutin eût montré une vive agitation. Mais depuis qu’en faisant
supprimer sa première femme il avait pu convoler, l’élection du pape
l’intéressait beaucoup moins.
    — Cet homme se nomme Evrard,
continua le comte de Poitiers.
    — Evrard… répéta machinalement
le roi.
    — Il est clerc à
Bar-sur-Aube ; mais il a appartenu naguère à l’ordre du Temple, où il
avait rang de chevalier.
    — Un Templier, ah oui !…
fit le roi.
    — Il est venu se livrer voici
deux semaines à nos gens de Lyon, qui nous l’ont envoyé.
    — Qui vous l’ont envoyé,
Philippe, précisa Charles de Valois.
    Poitiers feignit d’ignorer la
pointe, et poursuivit :
    — Evrard a dit qu’il avait des
révélations à faire, et on lui promit qu’il ne souffrirait aucun mal, à
condition qu’il avouât bien le vrai, promesse que nous lui certifions ici.
D’après ses déclarations…
    Le roi avait les yeux fixés sur la
porte, guettant l’apparition de son chambellan ; seules le préoccupaient
pour l’heure ses chances de paternité. Le plus grand défaut de ce souverain
était peut-être d’avoir l’esprit toujours requis par une autre question que
celle en débat. Il était incapable de commander à son attention, ce qui constitue
la pire inaptitude au pouvoir.
    Il fut surpris du silence qui
s’était établi et sortit de son rêve. Seulement alors il regarda le prévenu,
remarqua son visage parcouru de tics,

Weitere Kostenlose Bücher