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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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charge de recevoir
tes mignons beaux-frères quand ils se présenteront… à moins qu’ils ne se
chargent de moi et que ce soir tu n’aies plus d’oncle.
    — Oh ! non, vous, vous ne
craignez rien. Ils sont violents, mais nobles. Ils auront le respect de votre
âge.
    — La belle armure que d’avoir
les jambes faibles !
    — Peut-être même qu’ils se
seront lassés en route et qu’ils ne viendront pas.
    Tolomei émergea de la robe qu’il
venait de passer par-dessus sa chemise de jour.
    — Cela m’étonnerait fort,
répondit-il. En tout cas, ils vont déposer plainte et nous faire procès… Il me
faut alerter quelque personne haut placée qui arrête l’affaire avant qu’elle
fasse trop grand scandale… Je puis m’adresser à Monseigneur de Valois ; mais
il promet, promet, et ne tient jamais. Monseigneur Robert ? Autant prendre
les hérauts de ville et leur faire annoncer la nouvelle par trompettes.
    — La reine Clémence… dit
Guccio. Elle m’aimait fort pendant le voyage…
    — Je t’ai déjà répondu l’autre
fois. La reine va s’adresser au roi, qui s’adressera au chancelier… qui va
mettre tout le Parlement sur les dents. La belle cause que nous allons
soutenir.
    — Et pourquoi pas
Bouville ?
    — Ah ! Voilà une bonne
idée, s’écria Tolomei, la première que tu aies eue depuis des mois. Oui,
Bouville ne brille pas par l’esprit, mais il a gardé du crédit d’avoir été le
chambellan du roi Philippe. Il n’est pas compromis dans les intrigues et fait
figure d’honnête homme…
    — Et puis, il m’aime fort, dit
Guccio.
    — Oui, nous savons !
Décidément, tout le monde t’aime. Ah ! qu’un peu moins d’amour nous
servirait bien ! Allez, va te cacher chez cette dame de ton ami Boccace
et… de grâce ! qu’elle n’aille pas se mettre à t’aimer, elle aussi !
Moi, je vais courir à Vincennes pour parler à Bouville. Tu vois ; Bouville
est probablement le seul homme qui ne me doive rien, et c’est justement à lui
qu’il me faut demander quelque chose.
     

X

LE DEUIL ÉTAIT À VINCENNES
    Quand messer Tolomei, monté sur sa
mule grise et suivi de son valet, pénétra dans la première cour du manoir de
Vincennes, il fut surpris d’y trouver un grand rassemblement de gens de toutes
sortes, officiers, serviteurs, écuyers, seigneurs, légistes et bourgeois ;
mais leurs mouvements s’effectuaient dans un silence total, comme si hommes,
bêtes et choses avaient cessé d’émettre le moindre bruit.
    On avait couvert le sol d’épaisses
jonchées de paille afin d’étouffer le roulement des chars et le son des pas.
Nul n’osait parler sinon à voix basse.
    — Le roi se meurt… dit à
Tolomei un seigneur de sa connaissance.
    À l’intérieur du château, il
semblait qu’il n’y eût plus aucune défense, et les archers de garde laissaient
entrer tout venant. Assassins ou voleurs eussent pu s’introduire dans ce
désordre sans que personne songeât à les arrêter. On entendait murmurer :
    — L’apothicaire, faites place à
l’apothicaire.
    Deux officiers de l’hôtel passaient,
charriant un lourd bassin d’étain couvert d’un linge, et qu’ils allaient
présenter aux physiciens.
    Ceux-ci, qu’on reconnaissait à leurs
costumes, tenaient conciliabule dans une antichambre. Les médecins portaient un
camail brun par-dessus leur robe de bure, et sur la tête une petite calotte
semblable à celle des moines ; les chirurgiens avaient la robe de toile à
longues manches étroites et, de leur bonnet rond, partait une écharpe blanche
qui leur couvrait les joues, la nuque et les épaules.
    Tolomei se renseigna. Le roi la
veille encore se portait fort bien, puisqu’il avait joué à la paume
l’après-midi. Puis il était entré chez la reine, et peu après, on l’avait vu se
plier en deux et se mettre à vomir. Dans la nuit, se tordant de douleur, il
avait de lui-même demandé les sacrements.
    Les physiciens n’étaient pas
d’accord sur la nature de son mal ; les uns, se fondant sur les
étouffements et les pertes de conscience, assuraient que l’eau froide, bue
après l’effort, avait déterminé cet accès ; les autres affirmaient que ce
ne pouvait être l’eau qui avait brûlé les entrailles du roi au point
« qu’il faisait le sang sous lui ».
    Discutant plus qu’ils n’agissaient,
et se neutralisant parce que trop nombreux au chevet d’un si haut patient, ils
ne conseillaient que des remèdes bénins qui

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