Les porteuses d'espoir
nationale. Les Québécois avaient
adopté le slogan de leur campagne : C’est le temps que ça change .
— Attention, les femmes, le vent vient de tourner de bord, dit-il.
Autour du feu de camp, Isabelle et Julianna eurent le même mouvement protecteur
envers l’enfant qu’elles portaient sur leur genou. Elles leur cachèrent le
visage le temps que le tourbillon de fumée aille narguer quelqu’un d’autre.
François-Xavier prit un long bâton et repoussa un morceau de bois dans le feu.
Par-dessus les flammes, il contempla le lac.
— Vraiment Henry, c’est fantastique que t’aies été élu ! dit Julianna.
— Isabelle va devoir être patiente. Je serai plus à la maison souvent. Après ce
petit congé de la fête de la Saint-Jean-Baptiste,je vais
presque dormir à l’Assemblée législative.
— T’en fais pas, Henry, le rassura sa femme. Occupe-toi de changer le monde pis
de nous remettre notre Québec sur pied. Avec les enfants, je suis si bien au
lac.
— Pour moi, Hélène s’est endormie avec ton petit dernier dans le chalet, fit
remarquer Julianna en fronçant les sourcils. Je devrais peut-être aller voir,
ajouta-t-elle d’un air inquiet.
— Mais non, Julianna. Hélène va venir nous rejoindre si elle veut, dit Isabelle
d’un ton rassurant. Arrête de t’en faire, ajouta-t-elle à voix basse. Hélène
est… est mieux.
— Demain, François-Xavier, je voudrais qu’on abatte le vieux bouleau, dit
Henry. Je le trouve dangereux.
— Ces bouleaux, ils pourrissent toujours par en dedans…, répondit
François-Xavier, le regard toujours rivé sur les flammes.
— En tout cas, Henry, astheure que tu es bien placé en politique, je vais avoir
à te parler d’un grand projet, dit Julianna.
— Oh ! je suis mieux de me préparer, répondit-il en souriant.
— Tu vas voir, Henry, l’idée de Julianna est formidable ! intervint
Isabelle.
— Parce que ma femme est au courant ! François-Xavier, on n’est pas sortis du
bois !
— Je sais même pas de quoi il s’agit…, dit François-Xavier d’un air
indifférent.
À son tour, Julianna suivit le mouvement des flammes. La tristesse l’envahit.
Qu’était devenu leur amour ? Celui qu’elle avait cru éternel, impossible à
éteindre, plus fort que toute volonté ? Les saisons étaient passées, rythmant
leurs vies…
Henry suivit le contour des constellations.
— Les étoiles sont belles ce soir.
Les regards se tournèrent vers le ciel étoilé.
Sur les genoux de Julianna, la fillette s’agita.
— Matante Juju, raconte-moi une histoire !
— Une histoire ?
— Pas une histoire de bébés, par exemple ! Je veux une histoire pour faire
peur.
— Pour faire peur… Une histoire de monstre aux yeux verts ?
— Non, tu la racontes souvent. Je veux une histoire de diable.
Julianna réfléchit un instant puis s’exécuta. Avec talent, elle inventa un
conte relatant les mésaventures de deux pauvres enfants perdus dans la forêt qui
se faisaient attaquer par un chien-loup diabolique, et qui étaient sauvés par
l’étoile du matin.
— Le vrai Diable, il existe-tu pour de vrai ? demanda l’enfant quand Julianna
eut terminé de raconter l’histoire.
Comment expliquer à un être innocent que le mal a bien des visages ? C’est le
mensonge, l’abus, la fourberie. C’est la perte de vos biens, de vos rêves. C’est
la maladie, la guerre, la violence. C’est le feu... et la mort de petits anges.
Le Diable a tant de masques. Il est maître du déguisement. Il est sournois. Il a
la parole enjolivée, la tentation facile. Comment lui résister quand il vous
pousse à vos dernières limites ? Il rôde autour de vos instants de faiblesse,
profite de vos maladresses, guette le moindre faux pas. Vous trébuchez ? Il vous
offre galamment la main pour vous relever. Il vous susurre des mots d’amour au
cœur. Il vous propose de déposer votre tête fatiguée sur son épaule, de le
laisser vous emporter au creux de ses bras, dans son antre. Il faut être
vigilant pour discerner les longues griffes qui cherchent à atteindre le cœur.
Comment survivre à une telle rencontre ?
— Le vrai Diable, il existe-tu pour de vrai ? répéta la fillette.
Que pouvait-elle répondre à cela ? Oui, le mal existe ? Oui, il a bien des
visages et tu vas le rencontrer ? Méfie-toi de tout, surveille derrière ton
épaule les
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