Les porteuses d'espoir
retrouver son mari.
Le bateau rentrait à toute vitesse. Pierre se doutait que Mélanie devait
s’inquiéter et l’attendre avec le repas du soir sur la table. Il avait eu une
avarie avec La Joséphine. Son pauvre bateau se faisait vieux... Timmy
était fatigué et affamé. Il se plaignait d’avoir faim depuis deux bonnes heures.
Pierre était à bout de patience.
— Ben, rentre donc à la nage si t’es pas content ! lui avait-il lancé en
essayant, une fois de plus, de remettre en marche La Joséphine.
Timmy avait rétorqué :
— Un vrai O’Connor ! Même méchant caractère !
— J’ai pas mauvais caractère ! Tu tomberais sur les nerfs d’un saint !
Le simple d’esprit avait pris son ami imaginaire à témoin.
— Tu vois ce que je disais...
Avec habileté, Pierre exécuta les manœuvres d’accostage. Il somma Timmy de se
dépêcher de rentrer chez lui. Il se débrouillerait seul pour ranger les
gréements. Timmy ne se le fit pas dire deux fois et disparut sans un au revoir.
Pierre ne fut pas long à l’imiter. À grandes enjambées, il rentra chez lui.
Jamais il ne vit le corps qui gisait, à l’autre extrémité de la jetée, au milieu
des rochers.
Quand Pierre s’engouffra dans la maison, il n’y avait pas âme qui vive. Un peu
étonné de l’absence de sa femme, il se dit que celle-ci n’était peut-être pas
arrivée de la ville encore. Il alla changer de vêtements et se prit un morceau
de fromage. Il réfléchit. À moins que miss Harrington ait décidé de la garder à
souper en se disant que Pierre viendrait les rejoindre. Il sourit. Quand
l’Américaine ordonnait, il fallait se plier à ses désirs. Les mains dans les
poches, il se dirigea vers la maison de sa voisine.
Cela prit une dizaine de minutes avant que l’on retrouve Mélanie. Miss
Harrington ne comprenait rien à la disparition inexpliquée de sa jeune voisine.
Tout de suite, elle pensa au port. Mélanie se faisait une telle joie à l’idée de
surprendre son mari.
— Elle a refusé mon invitation à souper. Elle voulait t’accueillir au quai et
te montrer sa coupe de cheveux.
Timmy la découvrit en premier. En criant, il alerta les autres chercheurs.
Pierre courut auprès du corps de sa femme. Mélanie avait une blessure à la tête.
Un peu de sang tachait une roche. Miss Harrington retint Timmy et resta
respectueusement à l’écart.Avec précaution, Pierre souleva la
tête de sa femme.
— Mélanie, oh ! Mélanie...
La jeune femme ouvrit les yeux.
— Pierre..., dit-elle faiblement. Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Je sais pas... Je viens juste de te trouver, là. Tu as dû tomber, je crois...
Comment tu te sens ?
— J’ai mal à la tête...
— Je comprends, avec la prune que tu as !
Mélanie se redressa. Soulagé, Pierre vit que sa femme reprenait des
couleurs.
— J’me rappelle, j’avais une surprise...
— Tes cheveux, miss Harrington me l’a dit.
— Non, pas mes cheveux... Le docteur, le docteur a dit de pas m’en faire. Il y
a bel et bien un petit Rousseau en route.
Stupéfait, Pierre resta un moment figé. L’émotion monta en lui, le submergea.
Avec douceur, il prit sa femme dans ses bras. La gardant collée contre lui, il
la transporta vers la route. Miss Harrington et Timmy vinrent à leur
rencontre.
— Mélanie, tu vas bien ? demanda l’Américaine.
— Oui, oui, miss Harrington. Je... j’ai perdu pied, j’me suis assommée.
— Tu nous as fait peur...
— C’est moi qui t’ai vue dans les roches, dit Timmy.
— Merci, merci beaucoup, Timmy.
— Et la surprise de ta femme, Pierre ? demanda miss Harrington.
Il sourit amoureusement à Mélanie.
— J’ai hâte d’y voir le bout du nez, ben hâte.
Été 1960
— À Henry !
— À Henry !
« Il a gagné ses épaulettes, maluron malurette ; il a gagné ses épaulettes,
maluron maluré ! Maluron maluré ! Maluron malurette ! »
Ému, Henry regarda le couple d’amis et les remercia en levant sa bouteille de
bière.
Épuisé mais heureux, il se laissa tomber sur une bûche. Deux jours plus tard,
il ressentait encore l’adrénaline des élections. Ses oreilles bourdonnaient des
acclamations, des cris de victoire des partisans. Son chef, Jean Lesage, avait
gagné son pari. Henry et les autres députés libéraux avaient enfin repris le
pouvoir après seize années de règne de l’Union
Weitere Kostenlose Bücher