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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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et préparé leur première tentative, manquée, d’évasion. Il se montra ébahi d’une telle volonté et d’une telle énergie.
    — Voilà, me dit-il, qui m’ouvre les yeux sur la cruauté des Espagnols et l’indifférence des autorités impériales. Je n’aurais pu imaginer les mauvais traitements que vous avez endurés et votre farouche détermination à survivre. J’ai moi-même, à deux reprises, subi une détention : une première fois en 93, dans la Manche, alors que j’étais enseigne à bord de la  Virginie  et que notre navire avait été capturé, une autre lors de la capitulation de l’île de France, dans l’océan Indien, chaque fois par nos amis anglais, mais nous n’avons pas été traités comme des bêtes !
    — Capitaine, lui dis-je, vous n’avez pas vu le pire.
    — Le pire est-il possible ?
    Je le conduisis vers une des cavernes du mont Brujula, occupée par une tribu dont les membres ne se montraient que lors des distributions de vivres. Cet abri, à mi-pente du mont, était d’un accès difficile. Notre approche suscita le mouvement de recul de quelques  mâles  et de deux  femelles  – il n’y a pas de termes plus appropriés pour désigner ces sauvages nus et squelettiques, à la peau tannée. Un feu brûlotait entre des pierres au centre de l’abri, entouré de matelas de genêt en guise de grabats. Il régnait dans cet antre baigné de pénombre une odeur putride.
    Duperré ayant demandé à parler au responsable, un géant famélique, vêtu strictement de sa barbe et d’une ceinture d’herbe, s’avança vers lui et se présenta après une amorce de salut militaire.
    — Brillat, caporal au 67 e  de ligne, mon capitaine, pris à la bataille de Baylen. Veuillez excuser notre tenue.
    Lorsque Duperré lui eut révélé les motifs de sa présence, à savoir sa libération et celle de ses compagnons, il vacilla et se fit répéter ces propos auxquels il paraissait ne pas croire, puis il fondit en larmes.
    Dans la soirée, de retour au port, Duperré me fit part de son intention de donner la priorité pour rembarquement à ces malheureux, en me priant d’en faire le recensement et de leur distribuer des vivres.
    — Leur condition, me dit-il, est inadmissible, pire que celle des nègres dans les plantations des Îles…
    Il ne fut guère moins stupéfait en explorant les vestiges du Palais-Royal, dont l’appellation le fit toutefois sourire, et en visitant la citerne où naguère la troupe du Théâtre de la Misère interprétait Molière. Alors que la nuit tombait, il parcourut les ateliers des artisans, forgerons, tailleurs de figurines, rafistoleurs de matériel culinaire et s’informa de leur condition d’existence. Ils n’étaient pas les plus à plaindre.
    — Cette visite, capitaine Puymège, me dit-il, m’a convaincu de vos souffrances et des initiatives que vous avez prises pour y remédier. Je reconnais bien là l’esprit industrieux de nos compatriotes. Jetez-les au milieu d’un désert, ils y feront naître une ville !
    Il insista pour me faire souper à son bord et me dota d’un uniforme de marin pour que je n’eusse pas honte de ma tenue. Lui et les autres convives s’amusèrent à me voir dévorer une platée de viande et avaler des verres d’un vin qui n’était pas de la bistrouille d’auberge et avait un goût de paradis. Au terme de ce festin, après l’armagnac et le cigare, j’étais au comble du bonheur et ivre au point qu’il fallut me reconduire à mon domicile.
    Duperré avait donné un air de fête à sa visite : les vergues étaient illuminées, des lanternes et des pots à feu brûlaient sur la rambarde. Du côté du port, on répondait par des feux de joie, des chants et des danses. Barizel était parvenu, non sans mal, à rassembler quelques musiciens et choristes pour donner un concert devant l’amirauté.
    Inquiète de ne pas m’avoir vu de la journée, Marguerite m’attendait sur le seuil de la Malmaison. Je tombai dans ses bras et versai sur son épaule des larmes d’ivrogne, avant d’aller vomir dans le ravin.
    Au cours du repas, Duperré m’avait mis en garde contre un optimisme prématuré. Sa goélette ne pourrait embarquer qu’une centaine de prisonniers, et il faudrait des navettes pour conduire les autres à Palma, en attendant une flotte. L’autre navire était parti pour

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