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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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main, je l’exige !
    — Je ne le puis, soupira Dupont.
    — Épargnez-moi cette humiliation, ajouta Vedel.
    — Soit ! conclut Murat. Mais je vous aurai à l’œil. Persistez dans votre intention et vous serez destitués…
     
    Marbot, qui souffrait des chaleurs d’avril, essuya d’un revers de mouchoir son visage rond et lisse comme une pomme et me demanda de le suivre pour faire quelques pas dans le jardin.
    — Cette querelle, me dit-il, m’a été pénible, au point qu’à plusieurs reprises l’idée m’est venue de foutre le camp. Alors que nous sommes sur le point de marcher à l’ennemi, ces discordes personnelles sont inadmissibles.
    Ce n’est pas la différence d’âge, Dupont, né en 1765, ayant six ans de plus que Vedel, ni leurs origines, modestes l’une comme l’autre, ni même une jalousie de gradés, qui aurait pu nourrir cette aversion réciproque. Ils avaient affronté côte à côte l’ennemi autrichien sur les champs de bataille d’Italie avec Bonaparte et sur ceux d’Europe centrale avec Napoléon. Tous deux portaient au visage et sur leur corps les coups de griffes de la guerre. Ils auraient pu partager sinon une franche amitié, du moins une fraternité d’armes. Leur nature, leur caractère, également irascible et violent, s’y opposaient.
    Pierre Dupont se flattait d’appartenir à la vieille école, celle des perruques poudrées à rouleaux et des visages glabres. En campagne, on estimait son courage, mais dans ses rapports avec ses hommes on le tenait pour un pisse-froid, service-service. Lui arracher un sourire, un propos aimable ou un compliment relevait de l’exploit. Dès lors, on ne pouvait guère être surpris de ses rapports avec Fournier-Sarlovèze, ce flambard exubérant.
    La même antinomie se retrouvait sous une autre forme dans ses relations avec son second, le général Dominique Vedel, qui vivait la guerre comme on fait l’amour ou comme on dispute une partie de cartes, avec la même passion. Un fonctionnaire d’un côté ; de l’autre, un amoureux de la vie. Une balle ennemie reçue dans le genou devant Ulm faisait boiter Vedel, ce qui, disait-il en riant, plaisait aux femmes, ce dont je doute, étant dans le même état et n’ayant rien remarqué de tel.
    Si je me suis quelque peu attardé sur ces deux personnages, c’est que, quelques mois plus tard, leur mésentente permanente allait entraîner un drame dont ils se rejetteraient avec véhémence la responsabilité.
     
    Pour l’heure, le printemps, balayé par des alternances de pluie et de soleil, semblait en accord avec les événements.
    Dans les derniers jours d’avril, tantôt la situation dans Madrid nous menaçait d’une éruption et tantôt les rues et les places retrouvaient leur quiétude et leurs activités ordinaires, à commencer par la calle Valverde, où, dès l’aube, nous entendions l’apprenti d’Esteban chanter  Amor ardiente  en lissant ses peaux. Profitant des aires de calme, j’emmenais Josefa faire une promenade à cheval dans le parc du Palacio Nuevo, à l’ouest de la ville, sur une hauteur d’où l’on découvre le cours du Manzanares gonflé par la crue printanière, ou sur l’ancien domaine royal de la Casa del Campo, lieu de promenade favori des élégantes madrilènes.
    Le dernier jour du mois, par un soleil déjà ardent, j’y rencontrai mon ami, le capitaine Marcellin Marbot, en compagnie d’une beauté castillane pur sucre, Manuela, sa  barragana , sa compagne provisoire, qui paraissait tout droit sortie d’une toile de Goya évoquant une scène idyllique.
    Il m’invita à boire une  cerveza  à une guinguette de planches et à laisser nos compagnes continuer leur promenade à cheval tout en bavardant. Cette bière espagnole, tiède et d’un goût âpre, fut vite remplacée, à notre demande, par une cruche de vin de Valdemoro. Marbot m’offrit un cigare et, les pieds sur une chaise, soupira :
    — Puymège, mon ami, j’ai l’impression que nous avons mangé notre pain blanc et que les épreuves ne vont plus tarder. J’ai eu ce matin, par un ancien officier civil du palais, des nouvelles de l’état-major espagnol. Les avis y sont partagés : laisser pourrir la situation (mais nous n’en prenons pas le chemin !), armer le peuple en lui permettant d’accéder à l’arsenal du Buen Retiro pour lui donner les moyens de

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