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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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Josefa et la gouvernante à donner les premiers soins au blessé.
    Revenu à lui, il nous confia, d’une voix à peine audible et dans un mauvais français, qu’il avait été victime d’un attentat auquel il n’entendait rien.
    La raison me parut évidente : don Pedro Alvarez était réputé  afrancesado , ami des Français et collaborateur de l’administration militaire. Les insurgés avaient dû jurer sa perte, ce que confirmait un billet accroché à sa veste :  Muerto por traici ó n . Exécuté pour trahison.
    Cet attentat était injustifié. Don Pedro était un brave homme qui ne mettait aucune malice à fréquenter des Français, comme il l’eût fait avec des Anglais ou des Patagons. Nous faisions parfois quelques pas ensemble dans la rue, fumant lui sa pipe et moi un cigare. Il m’avait, au cours de soirées communes dans son douillet intérieur, fait lire une des premières œuvres de Miguel de Cervantès,  Galatea , et m’avait initié aux coutumes de son pays et aux subtilités de sa langue, sans qu’à aucun moment il m’eût reproché d’être un intrus.
    Conséquence, je le suppose, de la parade de l’après-midi, la nuit fut agitée. Des clameurs, des coups d’escopettes et de fusils de chasse montaient de toutes parts, accompagnés de ruées de cavaliers, de hennissements de chevaux et de chants séditieux contre les  heréticos . J’hésitai puis renonçai à me rendre au quartier général pour prendre des ordres. C’eût été courir au suicide.
    Don Pedro mourut peu avant l’aube, après des heures d’un coma irréversible. Il fut l’une des premières victimes espagnoles des émeutes qui allaient mettre la capitale à feu et à sang.
    Dès le lendemain, 2 mai,  dos  de mayo , la ville allait être plongée dans les affres d’une insurrection générale.
     
    Au petit matin, je laissai à Josefa et à la gouvernante le soin de faire rendre à don Pedro les derniers devoirs de la religion, pour aller, accompagné de mon ordonnance et de quatre sous-officiers de hussards logés dans les parages, au quartier général du Palacio Grimaldi. Nous fîmes le chemin à pied pour ne pas risquer la vie de nos chevaux, victimes de choix pour les émeutiers.
    Ce ne fut pas une promenade ordinaire. Nous dûmes dégainer nos sabres et nos pistolets pour nous ouvrir la voie au milieu de groupes d’émeutiers qui, hommes, femmes et enfants, nous menaçaient de leurs armes dérisoires : bâtons, piques et massettes. La balle d’une escopette, partie d’une fenêtre, arracha une manche de mon dolman. Le tumulte était tel que je n’entendis pas les appels au secours de mon ordonnance. Lorsque je me retournai pour m’assurer de sa présence, il avait disparu, englouti par la masse en fusion, comme dans un cratère. Je ne l’ai jamais revu.
    En passant sous la demeure de Francisco de Goya y Lucientes, je levai les yeux vers l’étage. Il se tenait au balcon, massif et marmoréen, bras croisés sur sa chemise largement ouverte, son visage sombre encadré de gros favoris grisâtres. Il était en compagnie de son épouse, Josefa Bayeu, qui s’abritait derrière cette effigie de l’indifférence.
    La ville était déjà en ébullition, malgré l’heure matinale qui sentait encore la rosée. Une voiture de laitier passa au galop en faisant tinter sa sonnette. Des volées de pigeons tournoyaient au-dessus des jardins publics et des églises.
    Une ambiance fiévreuse animait les abords du quartier général. L’un de nos officiers, le général Musnier je crois, se démenait dans la cour, s’écriant qu’il fallait en finir avec cette émeute et, quitte à verser le sang, faire donner les cuirassiers et les dragons pour ramener l’ordre.
    Marbot, que je croisai sur les marches du perron, rouge d’émotion, me montra le texte de l’ultimatum que Murat avait adressé au cours de la nuit au Conseil de Castille, et la réponse qu’il avait reçue dans la première heure de la matinée. Je m’adossai à un grand vase de pierre pour le lire. L’ultimatum était d’un ton comminatoire :
    « L’heure n’est plus aux tergiversations. Il est impératif que le calme soit immédiatement rétabli, sans quoi les habitants devront s’attendre à ce que retombent sur eux les conséquences de leur entêtement. Mes troupes se rassemblent et des ordres sévères et irrévocables sont donnés pour que

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