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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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nous affronter, ou encore autoriser les troupes espagnoles à faire usage de leurs armes, mais pour les tourner contre les agitateurs, ce qui semble aberrant. Des Espagnols tirant sur d’autres Espagnols, on n’a jamais vu ça !
    — Tu ne m’apprends rien, lui répondis-je. Il suffit de se promener dans les rues au moment des coups de fièvre pour comprendre que Madrid, d’un moment à l’autre, peut basculer dans l’insurrection générale.
    — Ce que tu ignores peut-être, c’est que, chaque jour et même la nuit, ceux de nos hommes qui marchent seuls sont attaqués, traqués, massacrés, et que le nombre de nos pertes augmente sans cesse depuis une semaine. Qu’allons-nous faire si l’état-major espagnol décide de distribuer des armes et des munitions à ces excités ? Sortir nos canons, faire un massacre de milliers de ces gens trompés par des partisans du roi Ferdinand ou par des agents anglais ?
    Ces propos me laissaient sceptique. J’avais, en me rendant à l’hôtel des Postes, mes propres informations, fragmentaires mais suffisantes pour me donner des craintes. J’étais aussi bien informé que Marbot, le pire étant que la plupart des courriers entre les corps d’armée et l’état-major de Murat étaient interceptés.
    Une ordonnance française de dix-huit ans, chargée d’un message, avait été arrêtée dans sa course et tuée à coups de bâton et de hache… Deux mamelouks de la Garde, chargés de la même mission, avaient été conspués : « Courez-leur après, rattrapez-les et coupez-leur les  cojones  ! Ce sont des Maures ! », puis agressés. Ils avaient tenté de résister avec leurs pistolets d’arçon, mais la foule s’était refermée sur eux et les avait déchiquetés… Un sous-officier polonais avait été assailli par une bande de gamins qui l’avaient désarçonné à coups de pierre et de gourdin, lui avaient arraché son uniforme et l’avaient pendu par les pieds à une lanterne… Le fils du général Legrand avait eu le crâne ouvert par un pot de fleurs jeté d’une fenêtre… Chacune de ces agressions sauvages, contre des soldats qui n’étaient pas autorisés à se défendre, se terminait par le dépouillement de la victime : vêtements, armes, bijoux, argent…
    — Nous n’allons tout de même pas, reprit Marbot, laisser ce pays sans une autorité supérieure et l’occuper militairement ! Ce serait un acte inexpiable que toute l’Europe nous reprocherait. Parfois, lorsque je fume un cigare, je me dis qu’avant que je l’aie terminé la situation se sera dénouée. Un enfantillage, j’en conviens. Je me ronge d’impatience, et toi, tu restes d’un calme olympien ! On dirait que ces événements t’indiffèrent et que tu tiens à garder tes opinions par-devers toi. Dis-moi ce que tu en penses, nom de Dieu !
    Il s’esclaffa quand je lui répondis que le mieux serait de faire de Murat une sorte de dictateur à la manière de Cromwell.
    — Je ne plaisante pas, Marbot ! Grand-duc de Berg, lieutenant général de nos armées, Murat a l’habitude du pouvoir. Il est de taille, par son autorité et sa prestance, à assumer ces fonctions. Le peuple le craint et le respecte…
    — … et il le conspue et le siffle lorsqu’il passe la revue des troupes ! Il a beau être le beau-frère de l’Empereur, ce fils de cabaretier a des allures de bouvier, de ruffian, et une intelligence des plus médiocres. Il n’a de goût que pour charger l’ennemi, baiser les  se ñ oritas  et parader. Plus grave, il ignore tout de ce pays et de ce peuple.
    Je dus convenir de la justesse de ces propos, mais, sans revenir sur mon opinion, j’ajoutai :
    — Il est à la tête de la plus belle armée d’Europe. Ses officiers et ses hommes de troupe le vénèrent, à quelques exceptions près, à l’égal du dieu des Victoires. Aucune insurrection ne pourrait lui résister.
    Marbot écrasa le mégot de son cigare sous sa botte et s’exclama :
    — Notre armée, parlons-en ! Elle ne fait impression que par le nombre. C’est un ramassis de conscrits qui n’ont jamais connu le feu, de Polonais, de Suisses, d’Allemands, d’Italiens… Il lui manque un bataillon de vétérans, mais l’Empereur préfère les garder pour je ne sais quelles batailles futures. Certes, la populace admire nos cavaliers, nos fanfares, l’artillerie de

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