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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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matin. J’en frémissais jusqu’aux talons.
    Ces régiments allaient venir en renfort, le cas échéant, des forces urbaines : éléments de la Garde impériale, division d’infanterie du général Musnier et brigade de cavalerie. De quoi livrer une vraie bataille.
    L’ordre me parvint, ainsi qu’à d’autres aides de camp, d’assurer la liaison entre ces unités et de veiller à ce que les piquets restent sur leurs gardes.
    Le général de brigade Maximilien Foy, officier d’artillerie, que je trouvai sur ma route, parlait avec une autorité d’historien des Vêpres siciliennes qui, en l’année 1282, avaient vu se déclencher le même mouvement de foule contre les occupants français de cette île, qui avaient tous été massacrés. Dieu merci, nous ne courions pas ce risque, mais la journée s’annonçait fort chaude.
     
    Une chose est de livrer bataille à des armées normalement constituées, comme je l’ai fait en Italie et en Allemagne ; une autre est d’affronter des civils sans armes et inorganisés.
    Galopant avec mon escorte de hussards vers la plaza del Sol pour rendre compte de la situation, je me heurtai, à peine avais-je quitté le quartier général, à une foule hargneuse et menaçante. Un coup de feu arracha le beau shako de ma hongroise à plumet rouge, un autre blessa aux naseaux le cheval d’un de mes hussards, lequel vida les arçons. J’ordonnai de poursuivre notre marche en évitant de nous servir de nos armes, pour respecter la consigne.
    Nous avions non sans mal franchi quelques mètres dans une rue étroite quand nous fûmes copieusement arrosés d’eau bouillante par une mégère qui nous insultait de sa fenêtre. Cette aspersion causa une telle panique dans mon escorte que je faillis, moi-même brûlé à la tête et aux mains, ordonner la retraite, dans le hennissement des chevaux et les plaintes des cavaliers ébouillantés.
    Pour comble, on tirait sur nous des fenêtres et des toits, à croire que les arsenaux espagnols avaient ouvert leurs portes et livré leurs armes à l’insurrection. Deux de nos hommes basculèrent sous mes yeux, sans que je puisse intervenir. Je vis avec effroi la foule se refermer sur eux et perçus leurs ultimes plaintes, mais j’avais tant de mal à calmer ma monture que je dus me résigner à les laisser massacrer.
    Nous fûmes alors rejoints par une escouade d’une dizaine de dragons, dont le chef s’écria :
    — Inutile d’aller plus loin ! Ordre de Murat : retournez au quartier général !
    Dans le concert de clameurs qui montait autour de nous, je compris que le général Dumesnil avait reçu la consigne de faire charger cette multitude par la Garde impériale et la cavalerie des lanciers polonais.
     
    Au retour, j’appris par un aide de camp du général Foix qu’un affrontement d’une extrême violence s’était produit plaza del Sol.
    Murat avait envoyé dans ce volcan en éruption un escadron de quatre-vingts mamelouks sous les ordres de Mustafa, héros des guerres impériales, magnifique colosse aux moustaches d’Hercule de foire, vêtu avec le faste d’un prince oriental.
    La charge, d’une brutalité inouïe, avait ouvert une brèche dans la masse des insurgés, mais elle était si dense que les cavaliers d’Égypte ne purent s’y enfoncer aussi profond qu’ils l’espéraient et qu’ils furent immobilisés. Le moment de stupeur passé, les émeutiers ayant repris confiance, une véritable marée humaine déferla sur eux.
    Plus question d’épargner des civils. C’était une vraie bataille qui venait de s’engager, les mamelouks faisant voler des têtes avec leurs cimeterres et tirant au pistolet dans ce magma en fusion, les insurgés s’en prenant aux chevaux qu’ils éventraient, sautant en croupe pour désarçonner les cavaliers et s’acharnant sur eux avec une rare sauvagerie. Des clameurs montaient de la multitude :
    — Ce sont des Maures ! Ne les épargnez pas !
    — Vive l’Espagne ! Vive le roi Ferdinand !
    — Mort aux  gabachos  ! Que pas un n’en réchappe !
    La scène était digne des batailles du temps des rois catholiques contre les Maures d’Andalousie : une tuerie que, d’un côté comme de l’autre, rien ne semblait pouvoir arrêter, une mêlée inextricable d’où giclait le sang, où les chevaux, éventrés ou les jarrets tranchés au couteau, battaient des sabots dans des

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