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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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de Castille : le ministre des Armées, O’Farril, et celui des Finances, Aranza, accompagnés d’une escorte d’une dizaine de cavaliers. Leur présence signifiait la fin des hostilités. Restait à savoir si la masse suivrait cette initiative, des bruits de canonnade et de fusillade persistant du côté de la calle de Alcala.
     
    Il se passa environ une heure, le temps des pourparlers et des interventions sur le terrain, pour qu’il se fît sur Madrid un silence de cimetière.
    Abandonnant Marbot aux mains d’un chirurgien qui parvint non sans peine à extraire la balle, je remontai sur ma selle, mon cheval, par chance, ne souffrant que d’éraflures à la croupe et au garrot, pour pénétrer sur les lieux des combats afin de rendre compte au quartier général de mes observations. Rien de comparable, par l’ampleur, à ce que les aigles impériales laissaient sur le champ de bataille à la tombée de la nuit, mais le même spectacle affligeant de cadavres, de blessés et de chevaux qui dans leur agonie battaient l’air de leurs jambes.
    Le plus odieux était de surprendre des brigands en train de dépouiller les victimes françaises, au besoin en les achevant. Lorsqu’ils me voyaient charger sabre au clair en proférant des injures et des menaces, ils fuyaient comme des rats. J’aperçus un groupe de gamins dépenaillés s’acharner sur le cadavre d’un dragon pour chercher son argent. À mon approche, l’injure aux lèvres, ils reculèrent de quelques pas, se mirent, pour me provoquer, à danser et à brailler des insanités avec des simulacres de sodomie et de masturbation, avant de décamper.
    J’achevai d’une balle les chevaux qui bougeaient encore et dont les plaintes affolaient ma monture, puis, après m’être assuré que l’insurrection s’était éteinte, malgré quelques coups de feu épars qui partaient encore des toits et visaient les infirmiers, je regagnai le quartier général pour présenter mon rapport.
    La blessure de Marbot était moins grave que nous ne l’avions redouté. Il m’attendait, assis sur une marche, en train de fumer un cigare, le visage cireux.
    — Les premières évaluations, me dit-il, font état d’environ un millier de morts du côté des insurgés. Les pauvres gens…
    — Que dis-tu ? protestai-je. Comment peux-tu plaindre ces fanatiques, ces… ces forcenés ?
    — À toi, je peux le confesser : j’ai acquis la conviction que nous défendons une mauvaise cause. Réfléchis, Puymège. Nous sommes arrivés dans ce pays comme les légions romaines chez les peuples barbares. Je garderai toute ma vie la honte de m’être battu contre ces gens qui ne font que défendre leur roi, leur Dieu et leurs traditions.
    — Je comprends tes scrupules et je serais prêt à les partager si ces sauvages n’avaient commis sur les nôtres autant d’atrocités. Des gens qui se disent chrétiens…
    Ma diatribe s’arrêta d’elle-même quand Marbot laissa tomber son cigare et s’accrocha à moi. Je le fis conduire à son domicile, demandai à sa compagne, affolée, de renouveler son pansement trempé de sang, avant de regagner mon propre logis où Josefa, dans les transes, fenêtres closes, attendait mon retour.
     
    En rédigeant ce récit, dans ma retraite de Puymège, par un bel automne qui sent les vendanges, j’éprouve la même horreur et la même confusion qu’au lendemain du dos de mayo. Pour venir à bout de ce travail de mémoire que je me suis imposé, j’ai eu recours à divers témoignages d’officiers ou de simples soldats. Ils abondent, de nos jours.
    Les plus aptes de ces ouvrages à raviver mes souvenirs sont les relations du général Maximilien Foy et les Mémoires que Marbot s’apprête à publier et dont il m’a fait lire des passages. Je lui rends parfois visite dans son domaine de La Rivière, à Altillac, où il me garde à souper et à coucher.
    En mêlant à ces écrits mes propres souvenirs, j’ai quelquefois l’impression de revivre, un goût d’amertume aux lèvres, les événements qui ont marqué mon séjour à Madrid.
     
    Le bilan effectué au lendemain de l’insurrection était effrayant : près d’un millier de morts, pour la plupart des civils espagnols, et presque autant de blessés. Les affrontements se seraient-ils poursuivis une journée ou deux, qui sait quels chiffres on eût atteints ? C’eût pu

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