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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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donner des sueurs froides. La quarantaine venue, on aspire davantage à une vie tranquille qu’à l’aventure.
    Marié depuis douze ans à la fille d’un négociant marseillais, Marie-Julie Clary, dont la sœur avait épousé le général Bernadotte, futur roi de Suède, Joseph avait taillé allègrement dans son contrat de mariage. Il jouissait à discrétion des belles Napolitaines, les dégustait comme les vins fruités nourris des cendres et des laves du Vésuve. Ce souverain convenait à ce pays et ses sujets étaient satisfaits d’un roi qui, en deux ans de règne, n’avait fait parler de lui que par sa bonhomie et ses fêtes galantes.
    Il allait en être tout autrement en Espagne.
     
    Madrid a gardé un souvenir pénible de l’entrée du roi Joseph I er  dans sa nouvelle capitale. La population lui avait tourné le dos. J’aurais aimé assister à cet événement, mais j’étais alors en route vers le sud, dans le corps expéditionnaire du général Dupont de l’Etang, pour une mission retardée par l’insurrection.
    Lorsque le nouveau roi parvint au Palacio Nuevo, il eut certainement la sensation de pénétrer dans un musée sinistre et délabré. En parcourant du regard les tableaux de la famille royale il ne dut y voir qu’un pandémonium de personnages souffreteux, moroses, aux visages tavelés par des maladies vénériennes ou les conséquences de mariages consanguins. Il dut tomber en arrêt devant le portrait d’une fillette qui semblait émerger comme une fleur vivace de ce monceau de feuilles mortes : l’infante Marie-Isabelle, née des amours entre la reine et le grand favori, Manuel Godoy…
    Joseph pensa probablement qu’il aurait du mal à installer ses pénates dans ce mausolée, comme le roi Philippe dans son Escurial, au milieu d’une cour de fantômes somnolents et de moines fanatiques. Je l’imagine ouvrant portes et fenêtres pour respirer, tombant de la sierra de Guadarrama, ce vent âpre qui, dit-on, rend fou.
    Depuis le départ en exil des souverains, on n’avait pas organisé dans ce lieu sinistre de réjouissances capables de le ranimer. Il allait y remédier. On avait interdit les corridas ? Il allait les rétablir pour satisfaire la population. Plus de parades militaires depuis le 2 mai ? Qu’à cela ne tienne ! On allait en organiser. La population appréciait les feux d’artifice et les pétarades ? On allait la satisfaire.
    Il fallait effacer les traces de l’insurrection, redonner un visage souriant à cette capitale plongée dans le marasme. Avant tout, il convenait d’assurer le retour des notables  afrancesados  à la cour. Joseph allait user de sa séduction naturelle pour les faire revenir, en les assurant du maintien de leurs dignité, biens et privilèges.
    Il avait essuyé un rude camouflet au cours d’une des premières réceptions au Palacio Nuevo, lorsqu’une dame lui avait présenté son fils, un enfant de dix ans, porteur d’une épée.
    « Tu es bien jeune, mon garçon, lui avait dit Joseph, pour porter une arme. Que comptes-tu en faire ?
    — Tuer des Français, sire, beaucoup de Français. Ils ont fait du mal à notre pays.
    — Sire, avait bredouillé la dame, paniquée, il faut lui pardonner. Cet enfant ne fait que répéter ce que les domestiques se disent entre eux…
    — Oublions cet incident, madame, avait rétorqué le roi. Je vous conseille de lui faire comprendre que nous ne sommes pas les ennemis de son pays… »
    À peine installé au milieu de la cour reconstituée, Joseph tint à se comporter comme il l’avait fait à Naples : en souverain paternel. Il multiplia les réceptions, les feux d’artifice, les revues, les parties de campagne sur les rives du Manzanares, les chasses. Il se montra aux corridas, reçut l’hommage des matadors sous forme d’oreilles et de queues de taureaux sacrifiés. Pour montrer que les Français n’étaient pas tous des mangeurs de curés, il assista aux offices religieux.
    Il éprouva une nouvelle déception le jour où, à l’occasion d’une fête populaire, il fit mettre en perce sur la plaza del Sol quelques barriques de vin de Valdemoro : elles repartirent à moitié pleines.
    Cette générosité, s’ajoutant à son renom de grand buveur, lui valut le surnom de  Pepe Botella  : Joseph la Bouteille.
    Pour ressembler à un roi d’Espagne et des Indes, ce qu’il

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