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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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n’était pas encore tout à fait, et satisfaire à la coutume, Joseph décida qu’il lui fallait une favorite. Les candidates ne manquaient pas. Il choisit une Madrilène à forte croupe et au visage de madone, qui n’avait qu’un tort, celui de se parfumer au clou de girofle, la marquise de Monte Hermoso, un nom qui lui allait en perfection,  hermoso  signifiant « charmant ».
    Le marquis, son époux, s’étant montré réticent, Joseph en fit un grand d’Espagne et le gâta de ses bienfaits. Pour contrer l’indignation de la reine, il argua du fait que cette dame n’était à son service que pour lui apprendre la langue et la littérature espagnoles, et le guider pour les spectacles.
    On voyait le roi plus souvent à ses fêtes que dans les casernes. Informé jour après jour, l’Empereur ne tarda guère à manifester sa réprobation. Il s’interrogeait : « N’ai-je pas fait un mauvais choix ? Ce pauvre Joseph est un incapable : il ne sait même pas en quoi consiste un état de situation des armées ! » Joseph aurait pu répliquer que l’essentiel était que la paix régnât en son royaume.
     
    Ailleurs qu’à Madrid, ce n’était pas le cas.
    Maîtrisée dans la capitale, l’insurrection avait fait des progrès dans le reste de la Péninsule. L’Andalousie, vers laquelle s’acheminait le corps expéditionnaire des généraux Dupont et Vedel, avait proclamé son indépendance, après sa déclaration de guerre aux Français. À Valence, trois cents Français, pour la plupart des civils ayant depuis des lustres pignon sur rue, avaient été égorgés, et il faudrait un siège, des batailles et de lourdes pertes en hommes pour pacifier cette ville et cette province. Saragosse avait suivi le même chemin, et les Français allaient durant des mois se briser les dents sur ses remparts.
    Chaque jour parvenaient à Madrid de mauvaises nouvelles de Catalogne. Le général Duhesme, après avoir subi des échecs contre les rebelles, avait dû s’enfermer dans Barcelone. L’armée du général Junot serait bientôt contrainte d’évacuer Lisbonne. La situation empirait dans toutes les provinces, tandis que les bâtiments anglais se pavanaient à leur aise dans les ports de l’Andalousie et du Portugal. Une victoire du général Bessières, à Medina del Rio Seco, en Galice, en juillet, allait sonner comme un chant de victoire dans un funèbre concert d’orgues.
    Les communications étaient devenues tellement précaires que les dépêches ne parvenaient à Madrid qu’avec des jours de retard, ou pas du tout. À Paris, l’Empereur fulminait : « Ce qui se passe en Espagne est lamentable ! Mes généraux se conduisent comme des inspecteurs des postes ! » Il oubliait que cette guerre ne ressemblait en aucune façon à celles qui se livraient en Europe, armée contre armée. Le conflit aux multiples fronts que nous avions à affronter n’était pas une guerre mais une  guerrilla .
    Avant même d’avoir pris la route de l’Andalousie, je connaissais la signification de ce mot. Durant une partie de chasse à laquelle je participais, le général Hugo l’avait employé après avoir retrouvé trois de nos piqueurs assassinés et délestés de leurs armes et de leurs cartouches. Il allait souvent résonner à nos oreilles, tel le bruit d’une eau souterraine.
    À vrai dire, la réalité qu’évoque ce mot n’était pas nouvelle pour moi. J’avais eu connaissance à Toulouse, au cours de mon instruction militaire, d’un ouvrage paru au siècle passé,  La  Petite Guerre , de Grandmaison. Il y était question d’opérations de harcèlement par des unités légères.
    Le général Hugo nous avait dit, durant le repas du soir, au cœur de la forêt :
    « Nous allons éprouver, comme en Vendée en 1793, le même phénomène de réaction. Les  campesinos  et les Chouans sont de la même race. Vous verrez rarement des officiers à la tête des bandes que vous aurez à affronter, mais des hommes plus courageux et moins ignares que le commun. »
    Il avait évoqué les noms de quelques-uns de ces chefs, pour la plupart sortis du peuple ou de la paysannerie et tous ou presque dotés de sobriquets :  El  Cura  désignait un prêtre,  El  Médico  un médecin,  El  Abuelo  un vieil homme,  El  Manco  un manchot,  El  Pastor  un berger… Il avait eu affaire, dans les sierras de la

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