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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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Vieille-Castille, à l’un de ces chefs, le  cabecilla   El  Empecinado , un sobriquet qui signifie, il ne savait pourquoi, « l’Empoissé ».
    « Ce brigand, avait-il ajouté, nous a donné du fil à retordre, et ce n’est pas fini. En le traquant, j’avais l’impression de me retrouver dans le bocage vendéen, sauf que les forêts sont rares dans ces contrées. Les guérilleros nous tendaient des embuscades, nous tuaient quelques hommes et disparaissaient. Il était difficile de les poursuivre, les paysans à qui nous demandions notre route se fermant comme des huîtres ou nous indiquant une fausse direction. Nous avions la sensation de jouer avec des fantômes. De quoi perdre la raison… »
    Les guérilleros de Catalogne, de Castille et des Asturies avaient fait école, si bien que la route d’Andalousie ne fut à aucun moment une promenade de tout repos. Outre qu’ils souffraient de la chaleur et de la marche dans la pierraille, avec des illusions de souliers, nos soldats devaient avoir en permanence l’œil et l’ouïe aux aguets, surtout dans les passages difficiles de la montagne. « De quoi perdre la raison… » avait dit Hugo. Ce fut le cas pour nombre de jeunes conscrits qui, fous d’angoisse, désertaient.
    L’un des plus célèbres de ces brigands, dont Hugo avait omis de nous parler, était un nommé Pujol, alias Boquita.
    Originaire de Besalù, une ville catalane proche de Figueras, il avait constitué une véritable troupe, une  brivalla , qui s’en prenait surtout aux riches. Ces exploits le laissant de marbre, le général Lamarque était entré en contact avec Pujol pour lui proposer, moyennant l’amnistie pour ses propres méfaits, de l’aider à anéantir d’autres bandes qui, elles, s’attaquaient aux Français. Cette entente dura toute la guerre, puis, nos armées s’étant retirées, la justice sévit et Pujol, ami des Français, fut garrotté et pendu sur la  rambla  de Figueras.
    Le compte n’a jamais été fait avec précision des pertes que la  guerrilla  nous a fait subir, sinon il rivaliserait avec ceux des grandes batailles impériales. Il aurait fallu ajouter à ces bilans macabres nos officiers et nos soldats disparus on ne sait où ni comment.
     
    À l’annonce de notre départ, j’avais envisagé de me séparer définitivement, et non sans regret, de Josefa, en la confiant à la reine pour l’inclure dans le groupe de ses dames de compagnie, comme d’autres allaient le faire. Elle aurait pu sans peine trouver un nouveau protecteur et oublier l’amant de passage que j’avais été pour elle.
    C’était compter sans ses projets à elle. Lorsque, avec beaucoup de ménagement, je lui annonçai notre séparation, elle se mordit les lèvres au sang et protesta :
    — Tu vas partir, Laurent ? Je m’y attendais. Eh bien, je partirai avec toi.
    — Tu sais bien que c’est impossible. Notre expédition aura une vie difficile et trop de dangers à affronter. D’ailleurs, il n’est pas prévu que des femmes nous accompagnent…
    — Tu mens ! Je sais quelques officiers qui ne partiront pas seuls. Veux-tu des noms ?
    Je bredouillai :
    — C’est inutile, mais j’en doute… Nous en reparlerons…
    Battre en retraite devant sa volonté me donnait l’impression de me trahir moi-même. Persuadé, depuis le début, que nos rapports n’auraient qu’un temps, je me disais que l’occasion était propice à provoquer la rupture prévue. Je ne pouvais concevoir une liaison à long terme, en Espagne puis en France, car j’avais une épouse que j’aimais et qui me le rendait bien. Les officiers de ma connaissance, aussi attachés fussent-ils à leur liaison, nourrissaient le même projet. D’ordinaire, ces séparations convenues se faisaient sans drame.
    Quoi qu’on en pense, ces rapports, qui n’avaient rien de ceux de maître à esclave, étaient logiques dans leur apparente immoralité. Nous ne pouvions vivre comme des ermites, ni devenir des piliers de bordel, au risque, quasi inévitable, de récolter un de ces « coups de pied de Vénus » qui font pisser du verre pilé à leur victime. J’avais subi ce genre d’épreuves avec une grosse Allemande, à quelques jours d’une bataille, et en avais gardé un souvenir dissuasif.
    Durant trois jours je pataugeai dans cette pitoyable mélasse de sentiments et de

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