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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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pissaient dans leur culotte à la moindre alerte. En traînant la patte dans la poussière, ils se remémoraient les encouragements de leurs supérieurs : à Cordoue, Séville et Grenade, une fois balayée la horde, ils vivraient comme des nababs ; l’Andalousie était un fruit facile à cueillir, les Andalouses des créatures belles et faciles, les vins capiteux y coulaient à flots…
    Si ma mémoire est fidèle, le corps d’armée de Dupont et Vedel était constitué des six mille fantassins de la division Barbou, d’un bataillon de cinq cents marins de la Garde impériale chargés d’organiser des travaux dans le port de Cadix (anticipation hasardeuse !), de la cavalerie de Frésia composée de trois mille cavaliers répartis en deux brigades, et de deux régiments de Suisses empruntés à l’armée espagnole casernée à Madrid ou dans les parages. Notre artillerie comptait vingt-quatre pièces.
    L’approvisionnement donnait du mal à nos fourriers. Nous étions pourvus d’un fort chargement de biscuits, mais il s’épuisait vite. Nous devions, comme toute armée en campagne, réquisitionner (c’est un euphémisme) de quoi subsister. En fait, il s’agissait d’un pillage sous la menace de nos armes. Quant à l’eau, elle se faisait de plus en plus rare, alors que la chaleur nous épuisait.
    Les ordres étaient de pacifier des provinces rebelles du Sud et de marcher sur Cadix. Cinq de nos navires, dont une frégate, rescapés de la bataille de Trafalgar, y étaient à l’ancre sous le commandement du héros malheureux de cette bataille, le vice-amiral de Rosily-Mesros, bloqués par une escadre anglaise. Comble de désinvolture, l’état-major avait prévu notre entrée dans cette ville le 21 juin !
     
    J’avais beaucoup à faire, mais je ne perdais pas de vue Josefa.
    Les fonctions de capitaine-aide de camp, partagées avec cinq autres officiers, m’obligeaient à galoper d’un bout à l’autre de nos colonnes et parfois de repartir pour le quartier général porter les dépêches. C’est dire que les occasions de retrouver ma compagne étaient rares mais d’autant plus agréables. Montée sur Jasmina, elle supportait sans broncher les marches interminables, la chaleur étouffante et les averses diluviennes de mai. Lorsque la fatigue l’accablait, elle prenait place dans un fourgon ou à l’arrière, dans les charrettes des femmes.
    Nous nous retrouvions presque chaque soir à l’heure du bivouac, après que le général Dupont nous eut dicté quelques messages pour Madrid, réclamant le plus souvent des vivres, sans grand succès.
    Après quelques roulements de tambours pour marquer la halte, les hommes se libéraient des havresacs et des fusils qu’ils disposaient en faisceaux. Ils mettaient bas leur tenue poussiéreuse et se préoccupaient de trouver du bois de chauffage, de la paille pour la nuit et de l’eau.
    Mêlés à la troupe, nous improvisions notre campement en construisant des cabanes de branchages et de verdure pour nous préserver de la fraîcheur de la nuit, et soupions de la viande grillée de moutons tués et dépecés dans les haciendas. Par chance, le vin ne nous faisait pas défaut, ce qui donnait à certaines de ces soirées une allure de fête populaire. Quand la fatigue n’était pas trop intense, les hommes nettoyaient leurs armes avec des poignées d’herbe et recousaient les sous-pieds de leurs guêtres, qui avaient souffert de la marche dans la caillasse.
    Les brèves veillées se passaient à boire, à fumer, à chanter et à écouter les vieilles moustaches faire le récit de leurs campagnes, faisaient passer dans la nuit un souffle d’épopée et dessinaient dans la fumée des pipes des images de Bonaparte et de Napoléon. Josefa dormait, allongée à même le sol.
    La diane nous réveillait dans le froid de l’aube, face à un paysage transfiguré par le premier soleil qui colorait en rose l’immensité du paysage de la Manche, où parfois surgissaient des moulins à vent d’un blanc de craie sous des volées de corbeaux.
    Jusqu’à Tolède, distante de Madrid de dix-sept lieues (environ soixante-dix kilomètres), nous n’avons éprouvé que de rares alertes sur nos arrières, dont les femmes nous prévenaient par leurs cris. Parfois, à travers la  calina , cette brume de chaleur qui donne du flou au paysage, nous apercevions une troupe de

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