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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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guérilleros postés sur une hauteur, en train d’observer notre marche avant de passer à l’attaque ou de se retirer. Il était relativement aisé de nous en défendre, mais ils parvenaient souvent à nous tuer quelques hommes qui traînaient la patte à l’arrière et de nous voler des sacs de biscuits.
    Le rassemblement de nos divers corps se fit à Tolède, une semaine après notre départ. Dupont décida d’y demeurer quelques jours pour faire reposer les hommes.
    J’ai tout de suite éprouvé une sorte de fascination pour cette ville étagée sur la colline dominant le Tage, ses murailles austères entre gris et roux, le maigre paysage d’oliveraies couvrant un sol ocre.
    La première consigne de Dupont fut d’interdire toute sortie hors des remparts, les alentours étant parcourus par des bandes de guérilleros. Dieu merci, l’intérieur de la cité avait de quoi nous préserver de l’ennui. Nous passâmes des heures, Josefa et moi, main dans la main, en compagnie de quelques officiers et de leurs concubines, à visiter la Casa del Greco qui abrite la série des  Apôtres , chef-d’œuvre du maître, la cathédrale, la forteresse de l’Alcazar, ancien repaire du Cid Campeador, et à admirer le coucher de soleil sur la boucle du fleuve.
    Nous nous serions bien passés, en revanche, du spectacle qui nous fut donné gratis sur une petite place proche de la cathédrale, par un  carnicero . Pour nous distraire et par pure perversité, il fit sortir sous les mûriers quelques moutons et un veau. Aidé de ses commis, il fit trancher les pattes des moutons au niveau des rotules pour le plaisir de les voir sautiller sur leurs moignons avec des bêlements pitoyables, le comble du raffinement consistant à leur planter dans l’anus une branche enflammée.
    Cette brute avait réservé au pauvre veau un traitement particulier. Après lui avoir crevé les yeux, il lui avait planté son coutelas dans le ventre pour le plaisir de le voir gambader avec des meuglements avant de s’effondrer. Une forme de corrida, plus odieuse du fait que ces énergumènes ne couraient aucun risque.
    Josefa me retint par le bras alors qu’au comble du dégoût je m’apprêtais à corriger le bourreau. Lorsqu’un commis présenta son chapeau pour la quête, je crachai dedans.
     
    La veille du départ, le général Dupont réunit ses officiers et ses aides de camp pour un dernier repas dans une auberge de la plaza Zocodover. Il avait pour la circonstance poudré sa perruque et me parut plus malingre que d’ordinaire : joues creusées et regard flou, comme si, après une semaine, il commençait à douter de sa mission. Ce qui se confirma lorsqu’il nous dit, avec des tics qui contractaient ses lèvres et déjetaient ses épaules :
    — Mes amis, nous avons mangé notre pain blanc. Des épreuves de plus en plus pénibles nous attendent. Avant de toucher Cadix avec l’aide de Dieu, nous aurons à affronter un ennemi dont il ne faudra pas espérer de quartier, des brigands pires que les Maures au temps des rois catholiques. Ils surgiront où nous les attendrons le moins, ne seront nulle part où nous les chercherons, et, si vous rêvez d’une bataille en rase campagne, détrompez-vous ! Je ne puis vous dire que nous serons à Cadix à la date prévue, mais nous ferons de notre mieux pour y parvenir.
    Je m’attendais à la phrase traditionnelle destinée à galvaniser notre énergie : « L’Empereur a les yeux fixés sur nous ! » Il nous l’épargna.
    Il ne nous avait pas échappé que Dupont comptait sur le succès de cette campagne pour obtenir son bâton de maréchal, ce que Vedel se fit un plaisir de me confirmer. Il avait atteint le plus haut degré dans la hiérarchie militaire, mais cette promotion rarissime récompenserait une carrière qui lui avait valu le grand aigle de la Légion d’honneur, des mains de l’Empereur, avec le titre de comte d’Empire…
    Le lendemain, au sud de la ville, alors que nous abordions la sierra de Tolède, un événement allait bouleverser mes rapports avec Josefa. Elle me dit, au soir de cette journée :
    — Laurent, j’ai une pénible nouvelle à t’apprendre : j’ai constaté, au départ de Madrid, que j’étais enceinte.
    Je bondis.
    — Et tu t’es bien gardée de m’en informer ! Tu craignais sans doute que je t’interdise de me suivre ! Qu’allons-nous

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