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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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jetaient des pierres.
     
    Malgré ma réprobation, j’admirais l’énergie de Josefa, qui persistait à suivre le train à cheval plutôt que de se réfugier dans une charrette ou d’imiter d’autres femmes qui avaient accepté de reprendre la route de Madrid. Par fierté, elle évitait de se plaindre, mais je la voyais parfois vaciller sur sa selle et se cramponner aux rênes pour ne pas chuter. Je devais la contraindre à vaincre son dégoût lorsque je lui présentais le soir un bouillon de cheval, où surnageaient quelques miettes de biscuit cussonné, et une grillade de lézard ou de couleuvre. Je lui abandonnais une part de ma ration d’eau. Le vin ne manquait pas, mais il faisait des dégâts parmi la troupe.
    Dans une contrée viticole proche du rio Cigüella, l’avant-garde dans laquelle je me trouvais fit halte dans une hacienda abandonnée depuis quelques heures. Après avoir abattu quelques pigeons et les avoir fait rôtir sur place, nous avons ouvert un énorme foudre et nous y sommes baignés par petits groupes. Nous en sommes sortis ivres et rouges comme des Indiens d’Amérique. Si les guérilleros nous avaient surpris, pas un d’entre nous n’en eût réchappé.
    Lorsque vint mon tour de retourner à Madrid pour porter les dépêches de Dupont avec une escorte de vingt cavaliers armés en guerre, le choix se présenta de nouveau : emmener Josefa ou la laisser poursuivre la route vers le Sud. À bout de forces et affligée d’une dysenterie tenace, elle se montrait indifférente.
    Je demandai à un jeune chirurgien, Auguste Murel, de la confier à un médecin réputé ami des Français, un dénommé Garcia, qui exerçait dans la ville la plus proche, Ciudad Real, pour la soigner et la protéger, avec l’intention de l’y laisser jusqu’à la fin de la campagne. J’appuyai ma requête d’une somme rondelette en réaux d’or.
    À ma grande surprise, Josefa ne fit aucune difficulté pour accepter cette séparation, après que je l’eus assurée – ce dont j’étais loin d’être certain – qu’il ne s’agissait pas d’une rupture.
     
    En chevauchant de nuit pour éviter les heures chaudes et en maîtrisant notre allure, je parvins sans encombre à Madrid. Nous dûmes ménager nos montures car il n’y avait sur notre parcours que des auberges douteuses et aucun relais de poste.
    Je confiai mes dépêches à Joachim Murat. Il m’annonça d’un air affligé qu’il était sur le point de partir pour Naples et que, souffrant de coliques rhumatismales, il redoutait ce voyage. Il me demanda des nouvelles de notre expédition ; je ne lui cachai pas notre dénuement et la détresse qui gagnait nos troupes ; il promit de faire le nécessaire avant son départ.
    La capitale était calme. Je passai quelques heures à m’y promener à cheval, sans rencontrer le moindre signe d’animosité. Dans les jardins des palais, des dames françaises et espagnoles disputaient des parties de mail sur les pelouses ou bavardaient sous leurs ombrelles ; des enfants montés sur des poneys se promenaient sagement sous les grands arbres ; des officiers de la maison du roi fumaient des cigares et buvaient du vin sous les charmilles… Tous ces gens, me disais-je, avaient-ils conscience de la situation dramatique dans laquelle nous nous trouvions ?
    Avant de reprendre la route, j’appris que le vieux général Moncey et son armée piétinaient devant Valence, que Valladolid était entrée en insurrection et que le général Lefebvre-Desnouettes avait entrepris devant Saragosse un siège qui s’annonçait long et difficile.
     
    En marchant à bonne allure, nos montures ayant été bichonnées, nous mîmes un peu moins de quatre jours pour rejoindre nos unités campées devant les immenses massifs noirâtres de la sierra Morena.
    Quand j’annonçai à Dupont les renforts en subsistances promis par Murat, il haussa les épaules d’un air fataliste et me dit qu’il n’y croyait guère. Il paraissait habité par un doute qui le rongeait comme un cancer et le privait de toute énergie. Le jour où nous devrions, me disais-je, affronter les Espagnols en bataille rangée, pourrions-nous compter sur son jugement et son autorité ? Il attendait des renforts du général Vedel, qui s’attardait à Tolède, mais cela ne suffisait pas à le rassurer.
    Il se tenait sur une avancée rocheuse, dans le

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