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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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soir tombant qu’encensaient des odeurs de thym et de genêts en fleurs. De temps à autre, il braquait sa lunette sur le vaste espace en partie couvert d’oliveraies sur lequel planaient des oiseaux de proie, et sur des haciendas, isolées au milieu de leurs vignobles. Il soupira en faisant claquer sa lunette.
    — Capitaine, nous voici à la croisée des chemins. Je songeais à l’instant à l’angoisse d’Alexandre sur le point de franchir les portes Ciliciennes pour rencontrer l’immense armée de Darios dans les plaines d’Issos. Que cachent ces sommets ? Dans quel monde allons-nous nous enfoncer ? Je vous avoue que je n’ai guère confiance en cette troupe de gueux que nous traînons derrière nous. Celles que je commandais, à Marengo et à Friedland, avaient une autre allure ! Il est vrai qu’elles ne souffraient pas de la faim et de la soif, et que l’Empereur veillait sur elles…
    Il s’informa des nouvelles de la capitale et parut indifférent lorsque je lui annonçai le départ de Murat. Il poursuivit, obsédé par la condition de son armée :
    — Hier, j’ai dû sévir contre des hommes qui se sont conduits comme des sauvages d’Afrique. Ils sont tombés sur un troupeau de moutons abandonnés, ont taillé les bons morceaux et ont laissé agoniser ces pauvres bêtes !
    Tout en retournant vers le bivouac de l’avant-garde, accompagné de quelques officiers, il me raconta que, la veille, il avait vu une étrange apparition : un officier en chemise et caparaçonné de sang comme un taureau de corrida, seul rescapé d’une opération de reconnaissance à Almuradiel. Un sabre lui avait ouvert le crâne et la mitraille d’un tromblon labouré la poitrine. Laissé pour mort, il avait basculé dans un ravin et, à la faveur de la nuit, avait pu regagner son unité. Il avait expiré dans les bras d’Auguste Murel, qui tentait de le soigner.
    Je demandai à notre chirurgien des nouvelles de Josefa.
    — Elle était, me répondit-il, dans un tel état d’épuisement que votre séparation l’a laissée indifférente. Garcia m’a promis de lui redonner goût à la vie. Il s’est montré sensible à vos réaux et vous en remercie. Saviez-vous qu’elle était enceinte de trois mois ? Elle ne gardera pas son enfant, mais c’est peut-être mieux ainsi. Dès qu’elle sera en mesure de voyager, Garcia la reconduira à Madrid. Je le connais : il le fera.
    Au moment de franchir les cols de la sierra Morena, la situation de notre corps expéditionnaire s’était sensiblement améliorée.
    La contrée était riche en céréales et les blés commençaient à grener. Un officier qui avait des notions de mécanique avait improvisé avec les moyens du bord de petits moulins de campagne ; il en coulait une belle et bonne farine dont on faisait des miches rondes et croustillantes, mais c’était peu de chose étant donné l’importance de notre armée. En revanche, cela prenait l’allure d’un miracle et redonnait confiance.
    Le général Dupont avait raison de redouter le franchissement de la sierra Morena, la Montagne noire, un massif montagneux qui sur près de six cents kilomètres, parallèlement au Guadalquivir, partage la Péninsule en deux pays différents. Pas de routes mais des sentiers muletiers ; un seul passage, le défilé de Despeñaperros, lieu, pour nous, de tous les dangers.
    Peu avant d’affronter cette montagne, un courrier nous annonça que nous allions recevoir le renfort de trois mille hommes rescapés des batailles malheureuses de Junot au Portugal. Cela nous rendait, comme on dit, « la jambe bien faite », nous qui avions déjà du mal à assurer la subsistance de nos troupes !
    L’ennemi, lui, nous attendait.
     
    Engager une armée de près de dix mille hommes dans ce traquenard était plus qu’un défi, une folie, mais nous ne pouvions nous y soustraire. Au-dessus du col principal, le puerto del Rey, le col se resserre au point que les gigantesques pans de rochers, en se rapprochant, forment une sorte de voûte sous laquelle se glisse un sentier muletier. Y faire passer nos fourgons allait relever de l’exploit ou tourner au désastre.
    Cette montagne avait un roi autoproclamé : le  teniente  Valdecanos, avec sous ses ordres des guérilleros, un détachement des troupes de ligne et une mission : nous interdire à tout prix le

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