Les prisonniers de Cabrera
hasardés le long des remparts avait eu lieu. Talonnés par la cavalerie du sous-lieutenant La Sablière, ils avaient réussi à pénétrer dans la ville et à se réfugier dans une église, où ils s’étaient barricadés. Assaillis de toutes parts, ils avaient demandé à parlementer. Leur chef, dont j’ai oublié le nom, avait proposé à La Sablière, contre la vie sauve pour lui et ses hommes, de lui révéler la cachette du trésor de guerre des insurgés. Le marché conclu, on avait mis au jour, dans une cave de l’évêché, un coffre plein de beaux réaux. Il fut confié à Legendre, lequel le remit à Dupont, qui le fit transférer dans un fourgon et placer sous bonne garde. Ce qu’est devenu ce trésor, je l’ignore…
Un autre butin fut découvert dans le cabinet du receveur royal par le sergent Teulet, qui occupait cette demeure. Une véritable course au trésor s’organisa, par ordre ou individuellement, dans les maisons des officiers civils. Il semblait que la source de réaux fût inépuisable, la plupart des habitants étant partis avec juste le nécessaire. Dupont désigna parmi ses officiers quelques commissaires chargés du recensement de ces prises. On entassait les pièces dans de grandes panières, mais les paniers étaient percés, ce dont beaucoup profitèrent…
Dans les jours qui suivirent, exactions et pillages se poursuivirent en catimini, avec moins de férocité que le premier jour. Il était rare que l’on pénétrât dans une maison sans en ressortir avec quelque trophée. Dans nos fourgons et des charrettes trouvées sur place et attelées de bœufs enlevés dans les parages, on entassait monnaie, bijoux, objets du culte, œuvres d’art, jusqu’à des vêtements d’hommes et de femmes ! Les hordes de Sardanapale n’eussent pas fait mieux…
Nos officiers et nos hommes auraient volontiers prolongé leur séjour dans cette Capoue où ils trouvaient tout et à satiété : la nourriture, le vin et les femmes. Le moindre troupier avait l’impression de vivre comme un nabab. La halte observée par les légions d’Hannibal, au sud de l’Italie, à Capoue, leur avait été fatale, le moment venu d’affronter l’ennemi romain. Les délices de Capoue , voilà une métaphore que notre chef aurait dû méditer. Nous n’allions pas tarder à payer au prix fort cette veulerie.
Alors que notre armée s’abandonnait à la vie facile et aux plaisirs orgiaques, la junte de Séville préparait sa revanche et rassemblait une armée commandée par le général Francisco Javier Castagnos y Aragoni.
Cet officier n’avait rien d’un banal chef de guérilleros : il avait fait des études militaires en Prusse, à l’école du Grand Frédéric, et, une fois revenu dans sa patrie, s’était dressé contre la tyrannie de Manuel Godoy, lequel l’avait disgracié. Il avait déjà pris position à Ecija et à Carmona, à une douzaine de lieues de Cordoue, une contrée qui avait la terrible réputation d’être un véritable sartén (une poêle à frire).
Sans nouvelles des renforts du Portugal, la situation de notre armée devenait précaire. Quant à la division Vedel, elle tardait à nous rejoindre, malgré les injonctions de notre général et en raison des embuscades que les guérilleros tendaient à nos aides de camp, lesquels parvenaient à peine une fois sur deux à remplir leur mission. Le quartier général de Madrid restait muet, les courriers étant bloqués à l’entrée du défilé de la sierra Morena.
L’étau se resserrait autour de nous. Pour échapper à un encerclement qui eût signé notre perte, nous avions deux solutions : nous enfermer dans Cordoue en espérant des renforts, ou poursuivre notre route vers Cadix et Séville, avec l’espoir que ces deux villes, à notre approche et sous la menace de notre artillerie, nous ouvriraient leurs portes.
Pour comble de malchance, trois officiers et deux cents soldats suisses, naguère au service de l’Espagne, avaient déserté pour rejoindre l’armée ennemie, à Carmona.
Dans la nuit du 15 au 16 juin, au cours d’un repas à l’ayuntamiento, la mairie, l’alcade de Cordoue, qui s’était refusé à prendre la fuite, nous apprit que l’avant-garde de Castagnos venait de quitter la position d’Ecija pour se diriger sur nous avec vingt mille fantassins, deux mille cavaliers et de
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