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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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m’écriai, au comble de l’indignation :
    — Mon général, allons-nous imiter le comportement des hordes d’Attila et de Gengis Khan ?
    — Puymège, répondit Dupont, tenez-vous-en à vos fonctions. Allez prendre des nouvelles de ce foutriquet de Vedel, que l’on sache au moins où il se trouve ! Rompez et foutez-moi la paix !
    Loin d’obtempérer, je remontai sur Capitan pour parcourir la ville et prendre la mesure des excès commis par les nôtres.
    Pillage et massacre de civils se poursuivaient dans une ambiance de fête débridée. Un peu partout, on tuait, pillait, violait, vandalisait. À un moment, je tentai d’arracher aux mains d’un groupe de marins de la Garde une jeune et jolie femme armée d’un fuseau. L’un d’eux me menaça de son pistolet. Je me retirai, conscient que j’aurais fait, en m’obstinant, le sacrifice inutile de ma vie.
    Des groupes de fantassins ivres, accompagnés de quelques sous-officiers, avaient envahi en s’égosillant le parvis de la cathédrale incluse dans la grande mosquée aux huit cents colonnes de marbre. Le pillage avait commencé dans les deux édifices. Des cadavres de religieux gisaient sur les dalles de la nef ; costumés d’habits sacerdotaux, des soldats jonglaient avec des croix d’argent et des ostensoirs ; d’autres, chargés à pleins bras d’objets du culte, se dirigeaient en titubant vers le parvis planté d’orangers et de citronniers où s’entassait le butin.
    Cordoue, antique capitale des Omeyyades, avait été, l’an 1236, l’objet d’un événement identique, lorsque le roi de Castille, Ferdinand III, avait passé la population au fil de l’épée et emporté tous ses trésors. L’histoire se répète inlassablement…
    La Juderia ne fut pas épargnée par la horde. Lieu de résidence de familles juives enrichies dans le commerce du cuir et du vin, elle fut pillée de fond en comble et la plupart de ses habitants massacrés ou molestés. Une compagnie avait forcé les portes de l’hôpital et, avec une rare sauvagerie, avait assassiné tous les malades.
    Le pire fut l’intrusion des soudards dans les couvents de femmes, violant les nonnes et perçant de leur baïonnette celles qui résistaient.
    Nombre d’officiers, je dois en convenir, eurent le même réflexe d’indignation que moi, mais éprouvèrent le même échec. Nous parvînmes néanmoins à sauver quelques familles, non sans essuyer de la part de nos soldats des insultes, des menaces et des horions qui nous obligèrent à dégainer nos sabres, nos épées, et à faire usage de nos pistolets. Je dus tirer et blesser à la cuisse un caporal des hussards qui tentait de forcer la porte d’une chambre de la Juderia où s’était réfugié un couple avec trois enfants.
    Ces scènes dignes des temps barbares se déroulaient par une chaleur étouffante qui mettait la fièvre dans le sang de la soldatesque et la poussait à boire plus que de raison. Les hommes se ruaient dans les caves, éventraient la futaille à coups de fusil et pataugeaient dans le vin dont ils s’abreuvaient à pleine gorge.
    Si, au terme de cette journée, les troupes de Moralès et d’Etcheverria étaient revenues dans Cordoue, un autre massacre aurait eu lieu, dont nous aurions été les victimes. Elles s’étaient repliées sur les hauteurs voisines, à Ecija, à une dizaine de lieues de là.
    La nuit amena un répit, la plupart de nos hommes, ivres et repus, s’étant endormis là où ils se trouvaient, sur les places, dans les rues ou les jardins. Quelques groupes erraient encore, tirant des coups de feu en l’air ou entonnant des rengaines et des chants de guerre à la gloire de l’Empereur. Je trouvai, dans la Juderia, un appartement abandonné que je partageai avec deux autres aides de camp aussi écœurés que moi.
     
    Le lendemain, la fête sanglante allait reprendre quand le général Dupont, qui avait oublié les ordres donnés la veille, nous confia le soin de faire passer à toutes les unités la consigne de quitter Cordoue pour se regrouper sur une berge du Guadalquivir.
    Une paix de cimetière tomba sur la ville. Lorsque je la parcourus, dans l’après-midi, pour rechercher des absents, l’odeur des cadavres exposés au soleil rendait l’atmosphère irrespirable.
    Dans la matinée, un bref échange de coups de feu avec des groupes d’insurgés qui s’étaient

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