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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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de la  Vieille-Castille  jusqu’à la fin de mes jours ou du moins de devoir attendre que nos troupes fussent venues à bout de Cadix.
    Cette ville, dont Pline prétendait qu’elle est un reliquat de l’Atlantide, épanouie à l’extrémité d’une étroite péninsule longue de près de dix kilomètres, est facile à défendre. Il aurait fallu, pour la faire capituler, l’attaquer par la mer, mais la défaite de Trafalgar nous avait privés de notre flotte. Je regrettais que le général Soult, plutôt que de laisser le gros de ses troupes devant cette ville, eût préféré le faire marcher sur Séville. Cette négligence permit à Cadix, protégée par ses abords marécageux, ses redoutes, et ravitaillée par les navires anglais, de se rendre pratiquement inexpugnable.
     
    Comme la plupart de nos compagnons de misère, à commencer par moi, Édith de Moncheil éprouvait ces relents de nostalgie qui rendaient plus insupportables sa misère et la nôtre, surtout lorsque, venues par bouffées des forts Santa Catalina ou du Trocadéro, des fanfares militaires jouaient  En  passant par la Lorraine  ou le  Chant du   départ …
    Plus faible que moi, elle ressentait plus intensément nos épreuves. Parfois, lorsqu’elle m’entretenait de sa famille, de son château de Moncheil, proche de Nontron, des jeux dans le parc et des chevauchées dans la forêt, elle éclatait de rire puis une ombre passait sur son visage et elle pleurait sur mon épaule. Il lui arrivait, dans ses périodes de dépression, de tenir des propos délirants qui me laissaient perplexe quant à son état mental.
    Je confiai mes alarmes à Murel.
    — C’est peut-être grave et peut-être pas, me répondit-il. Beaucoup de nos compagnes sont dans cet état, entre raison et folie. Pour les soigner, il faudrait d’autres remèdes que ceux dont je dispose. Le mieux est d’éviter de la contredire et de vous quereller. Il faut lui parler avec douceur, lui faire raconter ses souvenirs de jeunesse…
    Je parlai à Édith du sort, plus dramatique que le nôtre, des détenus du  Royal - Souverain . La mortalité y battait de tristes records : près de mille morts par inanition, manque de soins ou suicide, par noyade ou autrement. Il semblait que les autorités de la junte eussent décidé d’une élimination générale.
    Nous accusions les autorités espagnoles de cette monstruosité, en fait inspirée par les Anglais. Leur perversité allait jusqu’à livrer au pillage les boutiques de négociants français installés dans Cadix depuis des générations. Ceux qui résistaient étaient envoyés sur un ponton. Ils s’en étaient même pris à des marchands suisses, leur donnant le choix entre se dire espagnols ou renoncer à leur activité et être jetés en prison.
    Au début du mois de juin de l’année 1809, il se fit aussi dans la rade un grand chambardement, le bruit ayant couru que certains prisonniers allaient être déportés vers les archipels des Baléares et des Canaries.
     
    Un matin, le jour à peine levé, je trouvai Édith sur le pont, en proie à une singulière agitation, avec des gestes comme pour chasser les mouettes. Je lui demandai ce qui provoquait ce comportement insolite. Elle éluda ma question d’un haussement d’épaules. J’insistai. Elle me répondit sur un ton autoritaire :
    — Laurent, épouse-moi !
    Je faillis m’esclaffer. Elle ajouta :
    — Ne souris pas. Tu m’as bien comprise : je souhaite être ta femme.
    Je la pris par les épaules et l’attirai contre moi.
    — Cela n’est pas possible, tu le sais bien, ma chérie. Marié, je le suis déjà, et je répugne à la bigamie, d’ailleurs interdite par la loi, en Espagne comme en France.
    Elle rétorqua d’un air buté :
    — Je me moque de la loi. Si tu refuses ma proposition, je dénoncerai tes petits trafics !
    Mes « petits trafics » n’étaient secrets pour personne. Par l’intermédiaire d’un commis de Moreno, je parvenais à faire venir de Cadix du tabac à fumer, à mâcher ou à priser, que je cédais avec un modeste bénéfice à des officiers qui pouvaient difficilement s’en passer. Je faisais de même pour des vins et des alcools dont la consommation était en principe interdite à bord mais tolérée par Sanchez, qui en buvait lui-même.
    Je fis sèchement observer à Édith qu’elle usait du chantage pour

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