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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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obtenir l’impossible. Elle fit un geste désinvolte au-dessus de sa tête pour exprimer ce qu’elle pensait de cet argument, spécieux pour elle.
    C’est alors que je décidai de jouer à ma compagne une petite scène de vaudeville, afin de satisfaire à ses exigences et de la faire renoncer à ses menaces.
    Avec le concours de Murel et de Martin, un officier d’ordonnance qui avait fait des études dans un séminaire, j’organisai, ce dernier jouant le rôle du prêtre, un mariage fictif. Je n’eus aucune peine à trouver des témoins en leur recommandant le sérieux et le secret sur la cérémonie.
    Elle se déroula dans une cale qui puait le rat crevé et le goudron. Je passai au doigt d’Édith un anneau nuptial fait d’une tige de cuivre arrondie, et tout se passa pour le mieux.
    Puis j’organisai un repas de nuit sur le tillac, où nous étions abrités par une toile de l’averse venue de la mer. Un musicien, Perret, et un chanteur, Beaufranchet, interprétèrent quelques airs de la vieille France et nous firent danser le rigaudon.
    Nous passâmes, Édith et moi, le reste de la nuit à la belle étoile, si l’on peut dire, l’averse crépitant sur la toile, à faire l’amour et à batailler contre les moustiques. Elle se montra peu douée dans nos ébats, mais tendre et docile. Il est vrai que les circonstances n’étaient guère favorables aux exploits amoureux.
    J’ignore qui, parmi nos intimes, trahit mon secret. Toujours est-il que, peu après cette parodie, j’eus affaire à don Tadeo, un matin, alors que j’accédais au pont pour respirer l’air frais du matin. Il s’écria avec un rire sarcastique, en grattant sa barbe hirsute :
    — Tiens, voilà notre nouveau marié ! Suis-moi, je vais te confesser. Tu me raconteras ta nuit de noces…
    — Occupez-vous de vos ouailles, répondis-je et foutez-moi la paix !
    — Bougre de mécréant, toi et ta catin, vous apprendrez qu’on ne triche pas avec les sacrements de l’Église ! Quel est ce livre que tu portes à ta ceinture ?
    J’empruntais parfois à un officier de ma connaissance le  Zadig  de Voltaire pour le lire dans la brise marine. Avant que je puisse m’en défendre, Tadeo me l’arracha en s’écriant :
    — Tiens, tiens… Voltaire ! Un auteur mis à l’Index par l’Inquisition et par l’Église. Ça pourrait te coûter cher…
    J’eus tort de céder à la colère.
    — Ton Inquisition et ton Église, sale enfroqué, je m’en moque ! Nous ne sommes plus au Moyen Âge. Si je suis prisonnier, ma conscience est libre !
    — Ton Voltaire, riposta-t-il, voilà ce que j’en fais, à défaut d’un usage plus trivial !
    Il s’avança vers le bastingage et le jeta à la mer. Pris de rage, je lui sautai à la gorge. Plus robuste que moi, il n’eut guère de peine à résister à cet assaut et, tirant sa navaja de sa ceinture, il me lança :
    — Je pourrais t’égorger comme un porc sans cervelle que tu es,  hijo de puta , et j’y prendrais du plaisir, mais je préfère te voir souffrir de ta captivité ! Tu vas me suivre à Cadix, où un cachot t’attend pour la punition de tes blasphèmes. Ou alors, mets-toi à genoux, embrasse mon crucifix et délivre-toi de tes péchés en confession !
    Cette brute était allée trop loin. Je courus informer Sanchez de cette agression. Il se mit à invectiver le moine, disant qu’il était seul maître après Dieu à bord de ce navire, et lui ordonna d’en décamper au plus tôt. Tadeo, pour me confondre, évoqua mon mariage fictif.
    — Quant à vous, fit Sanchez en se tournant vers moi, vous allez avoir des comptes à me rendre. Célébrer un faux mariage à mon insu est une faute grave. Je vais devoir en informer le gouverneur. En attendant, vous allez observer une semaine d’arrêts. C’est un voyage de noces dont vous vous souviendrez !
    Don Tadeo reparti, je demandai un entretien à Sanchez pour l’informer des raisons qui m’avaient contraint à cette parodie bien innocente.
    — Innocente, dites-vous ? Cela passerait peut-être en France pour un  chiste , une blague, mais ici, vous deviez le savoir, on ne badine pas avec la religion. Je maintiens mon verdict, mais je ferai appel à la clémence du gouverneur. Don Tomas Morla est un brave homme. Il pardonnera ce blasphème.
     
    Durant une semaine, privé de Voltaire et de mon épouse, je me

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