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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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caillebotis qui nous épargna le désagrément de piétiner dans la boue.
    En revanche, nous avons bien cru perdre ce pauvre Gille. Entraîné par un torrent avec son  kikajon , il avait été propulsé dans le maquis, sur une pente menant droit à l’abîme, et en avait réchappé de justesse. Il nous demanda et obtint asile pour la nuit suivante, encore tourmentée par des vents fous et des bourrasques violentes.
    Le lendemain, un spectacle de désolation nous attendait. Le village de tentes éparpillées autour de l’amirauté avait été dévasté, les toiles s’étaient arrachées et envolées dans la baie et sur les pentes, sans faire de victimes. Les cabanes des parages avaient presque toutes perdu leur toit. Seul avantage de ces intempéries : nous aurions de l’eau pour quelques jours.
    Nous sommes allés prêter main-forte aux plus déshérités, pour les aider à se refaire un logis et leur apporter des vivres prélevés sur les réserves du magasin, les leurs ayant été emportés ou gâtés par la pluie.
    Il fallut de même reconstituer le village de boutiquiers en tout genre proche du port, auquel on avait donné le nom de « Palais-Royal », une allusion à celui qui, au cœur de Paris, constitue le réservoir des plaisirs et du commerce de la capitale. On y trouvait de tout : planches, clous, outils rouillés, nécessaire de cuisine et vieilles frusques, laissés par les disparus ; on y pratiquait le troc et l’usure ; il s’y tenait même, discrètement, un marché aux femmes comparable à celui des esclaves, où, pour quelques réaux, les prisonniers esseulés pouvaient acquérir une compagne ou échanger la leur.
     
    Un Conseil des sages proposé par Wagré s’était agrégé autour de trois personnages qui, sans tenir compte de leur profession ou de leur grade, étaient devenus des sommités : le timonier Ducor, le caporal de voltigeurs Gille et le caporal de grenadiers Wagré. On faisait appel à eux pour la distribution des vivres et les cas litigieux : simples problèmes de clôture, vols ou menaces de mort, comme dans toutes les communautés de France et de Navarre. Leurs verdicts étaient en général respectés.
    Le Conseil mit une telle âpreté à régler les problèmes en rapport avec la livraison des denrées que sa ténacité finit par porter ses fruits : le  se ñ or  Nicolas Palmer, qui prenait ses obligations un peu trop à la légère, se fit sérieusement secouer les puces par la junte.
    Un matin d’octobre, nous eûmes la surprise de voir un brick s’engager dans la baie, et plus encore d’en voir débarquer un troupeau de douze moutons, quatre chèvres, une vache et quelques volailles, en sus des livraisons ordinaires.
    Notre première réaction, laisser éclater notre joie, cessa au moment où Palmer fit passer la consigne : interdiction de sacrifier ce troupeau destiné à constituer une amorce d’élevage. Les messieurs de Palma avaient simplement oublié d’accompagner cet envoi d’une cargaison de fourrage. Allions-nous alimenter ces animaux avec des chardons et des ronces ? Les chèvres pourraient s’en suffire sans trop de peine, mais la vache, les moutons, la volaille ?
    Dans les trois jours qui suivirent, nous dûmes sacrifier la vache et trois ou quatre moutons, qui tenaient à peine sur leurs pattes, ainsi que quelques poules. Ce fut une fête dont chacun profita, sauf quelques sauvages de la montagne, difficiles à joindre ou qui refusaient toute promiscuité. Des odeurs de grillade se répandirent autour du Palais-Royal, centre de ce festin. Si nous avions accepté de répondre à la fringale de ces milliers d’hommes, tous ces animaux eussent été sacrifiés dans l’instant de leur débarquement. Ils bénéficièrent d’une rémission d’une semaine.
    Nous nous disions que c’était un miracle et qu’il n’y en aurait pas un second, quand un nouvel arrivage nous donna le démenti. Nous n’avions pas tout à fait tort, toutefois : les vaches et les bœufs de ce navire avaient tant souffert du gros temps, malgré les sangles destinées à maintenir leur équilibre, que la plupart étaient morts avant d’arriver. Il fallut les jeter à la mer, où des hommes allèrent les repêcher à la gaffe, et abattre ce qui restait vivant du troupeau.
    Ce brick nous réservait une autre surprise : il fit débarquer une vingtaine de

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