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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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bougres mendier un croûton de pain et un verre d’eau, crever dans leur cabane ou se suicider !
    L’expérience ne fit pas long feu, Wagré ayant constaté que les hommes chargés de la préparation des repas se servaient les premiers, et généreusement. D’autre part, les vastes récipients de cuivre, attaqués par le vert-de-gris, occasionnaient des diarrhées.
    Le temps que durèrent les popotes, la marchandise était entreposée dans une bicoque voisine de l’amirauté, un ancien poste de garde de la garnison. On y avait installé des sentinelles sans pouvoir empêcher le pillage, peut-être avec la complicité des gardiens. On accusait les rats, mais personne ne croyait à cette explication.
    Certains esprits industrieux, en spéculant sur la famine, pratiquaient le prêt « avec intérêt et restitution du capital ». Ceux qui se faisaient attribuer des avances en nature, notamment sous forme de pain, le dévoraient illico. Connu et honni de tous, ce système odieux persista sans que les coupables fussent inquiétés. Cela donnait parfois lieu à des « exploits d’huissier », si je puis dire, et à de violentes altercations.
     
    La mort marchait à grandes enjambées sur les chemins de Cabrera.
    Chaque jour, de nouveaux décès étaient signalés à la maison commune, où siégeaient Wagré et quelques officiers. Ils apprenaient sans sourciller que la plupart des cadavres avaient été jetés dans des gouffres ou incinérés sur des bûchers, afin que les survivants pussent profiter de leurs rations, comme le faisaient les hommes de Palmer.
    Notre trio vivotait du mieux qu’il pouvait. L’entente entre nous était parfaite et la distribution des vivres ne suscita jamais, malgré la faim qui nous rongeait les tripes, la moindre contestation. Nous consentions même, Auguste et moi, des sacrifices sur nos rations au profit d’Édith, en faisant en sorte que cela lui échappât, car elle ne l’eût pas toléré.
    Nous avions construit avec des pierres plates, dans un endroit sec, à l’arrière de la Malmaison, un caisson où nous entreposions nos réserves d’eau et de vivres, qui tenaient peu de place.
    Nous n’allions pas tarder à ouvrir à Gille la porte de notre petite communauté. Il avait choisi de vivre seul, à une centaine de mètres de notre cabane, mais passait plus de temps chez nous que chez lui, sans que cela nous importunât, sauf lorsqu’il surgissait au moment des repas, s’asseyait sur la murette de la terrasse et nous observait avec avidité.
    Cet original avait construit, seul et de ses mains, un abri de berger de Suisse romane, qu’il appelait son  kikajon  : une hutte de ramée où il ne pouvait tenir qu’assis ou couché, avec sur le devant un auvent végétal doté d’une table pour ses travaux d’écriture. Je m’amusais de le voir, le matin, pointer le museau hors de son abri comme un chien sur le bord de sa niche.
    Il nous revint un soir d’une prospection dans la péninsule orientale, brandissant des plantes et s’écriant qu’il avait découvert des pommes de terre. Auguste les examina avec soin avant de lâcher :
    — Des patates, ça ? Désolé de te décevoir ! Ces tubercules sont des  arundo donax , une variété vénéneuse qui, il est vrai, rappelle la pomme de terre. Garde-toi bien d’en manger !
    — Bah… riposta Gille, j’ai ingurgité tant de saloperies, depuis que j’ai quitté mes verts pâturages helvétiques, que je suis immunisé. Je vais tenter le coup. Si je m’en tire, ce sera la fin de la disette. Cette plante abonde partout dans l’île.
    Il fit bouillir quelques bulbes, les assaisonna d’herbe et de vinaigre et leur trouva un goût agréable. Le lendemain, ne le voyant pas paraître, j’allai lui rendre visite et le trouvai sur le seuil de son  kikajon , livide, après une nuit passée à vomir dans d’atroces souffrances.
    — Le seul avantage de cette plante, conclut Auguste, est d’avoir la consistance du liège. Nous pourrons en faire une bouée pour apprendre à nager à Édith.
     
    À la fin du mois d’août, nous subîmes un ouragan accompagné d’un déluge.
    Solidement charpentée et couverte, adossée à un rocher qui détournait l’eau de ruissellement, la Malmaison résista au cataclysme sans trop en souffrir. Prévoyant ce genre de caprices du climat, nous avions recouvert le sol d’un

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