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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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que moi.
    Je ne pouvais lui refuser ce service, mais, si Gille avait le cœur gros d’avoir à accomplir cette mission, le mien ne l’était pas moins. Je prenais plaisir à voir ce paisible animal gambader dans son parc avec des hennissements de bonheur, marcher d’un pas mesuré avec sa maîtresse sur les sentiers de la montagne, s’arrêter pour brouter des chardons, des fleurs de ronce et des fétuques. Il me laissait caresser son chanfrein avec un braiment amical. Pour toute notre communauté, il était une sorte de mascotte, indissociable de sa maîtresse.
    La Mère-au-Vent nous reçut dans sa cabane. L’hiver l’avait contrainte à se vêtir de peaux de mouton qui lui donnaient l’apparence d’une Esquimaude. Elle nous demanda ce qui nous amenait. Gille lui répondit d’une voix étranglée :
    — Il… il s’agit de votre âne, madame Daniel.
    — Vous lui voulez quoi, à mon bourricot ?
    — Nous avons besoin de lui, ajoutai-je, pour le service de la communauté.
    — Soit, d’accord pour vous le prêter, mais vous comptez me le ramener quand ?
    — Nous ne vous le ramènerons pas. Le Conseil a décidé de le sacrifier.
    Elle répliqua, dans un mince sourire :
    — Les gars, j’aime bien les plaisanteries, mais celle-ci ne me fait pas rire. Si vous parlez sérieusement, je vous prie de foutre le camp avant que je me fâche.
    Elle saisit une fourche de bois et nous en menaça. Gille protesta :
    — Calmez-vous, madame Daniel ! Je suis peiné de cette décision, mais vous ne pouvez rien y faire. Demain, des hommes viendront se saisir de Robinson, et toute résistance sera inutile.
    Nous nous retirâmes sous une bordée d’imprécations et de menaces.
    Le lendemain, lorsqu’une équipe de cinq volontaires se présenta, l’oiseau s’était envolé.
    — Ces animaux, leur dit madame Daniel, c’est plus intelligent qu’on ne le prétend. Le mien a dû comprendre qu’on en voulait à sa vie. Alors, durant la nuit, il a pris la poudre d’escampette.
    Le Conseil fit battre les parages, sans résultat. Nous en avions pris notre parti, persuadés que nous ne le retrouverions jamais quand, le lendemain, madame Daniel se présenta à la maison du Conseil et demanda à parler à Wagré. Elle tenait Robinson à la bride et bredouilla, d’une voix brisée :
    — Faites excuse, mon ami. Il vous faut mon âne ? Il est à vous. J’y tiens autant que je tenais à mon homme, mais si son sacrifice peut sauver des vies, je ne regrette rien. Je vous en supplie, faites qu’il ne souffre pas trop.
    Elle raconta à Wagré qu’elle avait conduit son compagnon dans une grotte proche du puig de Poscamosca et qu’en cours de route elle avait aperçu des malheureux qui ramassaient des fruits pourris d’arbousier et rongeaient de l’écorce de caroubier et de l’herbe gelée. Elle avait compris, face à une telle détresse, que la vie d’un âne était de peu de poids.
    Elle libéra Robinson de son bridon, lui saisit à pleins bras l’encolure en gémissant :
    — Adieu, mon Robinson ! Adieu, mon ami ! Il y a un paradis pour toi aussi. L’herbe y est haute et grasse…
    Sans ajouter un mot, elle prit son enfant en larmes par la main et repartit à sa cabane sans se retourner.
    Robinson subit son supplice dans l’heure qui suivit, à l’abri des regards, derrière l’amirauté. On l’assomma pour lui éviter la longue et douloureuse agonie de l’égorgement.
    Gille, qui assista au sacrifice, me dit que des volontaires s’étaient récusés au moment de passer à l’acte et que d’autres pleuraient. C’est un caporal de dragons, boucher dans le civil, qui dut opérer.
    Il ne se trouva personne pour apporter sa part à madame Daniel et à son fils. Je refusai quant à moi d’assister au débitage. Les portions, pour une centaine d’hommes, étaient si minimes que cela représentait pour autant dire rien. Je donnai ma part à Édith, qui ne partageait pas mes scrupules.
    Le lendemain, par un temps serein, le navire de Palmer entrait dans la baie…
     
    Les premières ardeurs du printemps ranimèrent chez Édith son goût pour le jardinage.
    Elle nous parlait souvent du potager qu’elle avait organisé dans un coin de son parc de Moncheil et du plaisir que lui donnaient le semis, la germination et la récolte. Elle nous assurait qu’elle avait la main verte.
    Nous parvînmes à faire

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