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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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nouveaux prisonniers qui se groupèrent, en bon ordre et dans des tenues pas trop défraîchies, devant l’amirauté. Ils venaient l’on ne savait d’où et n’étaient pas mieux informés que nous de la situation en Espagne et en France. Autant dire qu’ils ne savaient rien.
    Plusieurs d’entre eux, intrigués par nos tenues haillonneuses, la quasi-nudité de certains d’entre nous, les visages ravagés par la gale et les barbes de Patagons, se jetèrent à l’eau pour tenter de remonter dans les chaloupes et de regagner le brick. Une salve les en dissuada. On allait être contraints de pourvoir à leur habitat et à leur nourriture, une tâche qui incomberait à Gille.
    Ce qui, à la longue, les rassura, ce furent la discipline qui régnait parmi nous et la rigueur apportée aux distributions de vivres. Leurs officiers nous avouèrent qu’ils ignoraient jusqu’au nom de leur nouveau lieu de détention.
    À leur arrivée, certains de ces hommes, les jambes à demi paralysées, rampaient sur le sol en réclamant de l’eau, disant qu’ils n’avaient rien bu de trois jours ; on dut puiser dans la réserve pour les satisfaire.
     
    Il fallut bientôt se préparer à l’hivernage.
    Sous ces latitudes, au milieu de la Méditerranée, des froids intenses et des vents violents peuvent succéder à des températures sereines. Nous réclamâmes un supplément de couvertures sans obtenir satisfaction. Un coup de froid risquant de nous mettre au bord d’une hécatombe, le Conseil organisa des corvées pour rapporter du bois des rares boqueteaux de la montagne, et en constituer une réserve. Il fallut procéder sans haches, la junte ayant refusé de nous en livrer, de crainte, sans doute, qu’elles n’arment une mutinerie.
    Les cabanes de ramée, baptisées « gloriettes », représentaient un abri efficace contre le soleil et les averses de faible intensité, mais, la mauvaise saison venue, ne garantissaient pas leurs occupants contre les bourrasques, le froid et les fortes pluies.
    À la requête de Gille, je pris la tête d’une équipe chargée de construire en pierre un baraquement d’une vingtaine de pieds de long, couvert d’herbes sèches enduites d’une terre sablonneuse, en principe imperméable à l’eau. Luxe suprême : il fut doté de deux cheminées rudimentaires, qui tiraient assez bien.
    Ce chantier nous retint une semaine. La masure était propre à fournir le couchage à une trentaine de malheureux, alors qu’il en eût fallu cent fois plus.
     
    Le travail d’abattage, auquel Auguste et moi nous consacrâmes à la demande de Wagré, était une corvée au-delà de nos forces et qui n’avait qu’un mérite : nous réchauffer les membres.
    En fait d’outils, nous ne disposions que d’une hache de corsaire, rouillée et émoussée, et, en guise de scie, de cercles de barrique. Il fallut forger des cognées et tresser des cordes. Notre calvaire dura plus d’une quinzaine. Nos pieds glissaient sur la terre humide et pentue, les épineux nous déchiraient les jambes, nos mains étaient en sang. Avec ma patte folle, je faisais des chutes, risquant chaque fois de me briser une cheville. Certains de nos compagnons, à bout de forces, s’allongeaient dans la broussaille, inanimés, au pied de l’arbre qui semblait les narguer.
    Un capitaine de voltigeurs nous confia qu’il possédait une véritable cognée de bûcheron découverte dans une masure abandonnée qui avait dû être le monastère. Cet outil banal revêtait, pour les misérables tâcherons que nous étions, une sorte de pouvoir magique, comme une relique surgie des vestiges du Temple de Salomon.
    Le capitaine de voltigeurs consentit à nous la louer pour quelques sous par jour…
    Experts en bricolage en tout genre, les marins de la Garde avaient entrepris la construction de cabanes en pierre. J’admirais leur allant, leur belle humeur, leur enthousiasme même, alors qu’ils suaient sang et eau à transporter des moellons.
     
    La vie s’était organisée de manière à éviter la confusion entre les unités militaires, un éparpillement risquant d’être néfaste.
    Nous nous sommes attachés à regrouper les détenus en fonction de leurs corps d’origine : il y eut la colline des Dragons, celle des Marins de la Garde, celle des Hussards… Ces villages avaient leurs rues, et les cabanes des numéros, certaines

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