Les prisonniers de Cabrera
répertoire des punitions comportait également l’essorillement (l’ablation des oreilles), le fouet et la pendaison.
C’est ce dernier châtiment qui fut infligé au chef d’un groupe de malfrats connu sous le nom de « bande de la Lune », du fait qu’ils opéraient nuitamment.
Il aurait fallu un bataillon en armes pour monter une expédition capable de trouver leur tanière. Devant l’impossibilité d’une telle action, Wagré incita le Conseil à adopter un procédé vieux comme le monde : la prime. Un supplément de nourriture fut promis aux amateurs.
Comme les victimes de cette bande étaient nombreuses, les candidats ne manquèrent pas pour accompagner les recherches vers le lieu où se terraient ces brigands : sur la péninsule au sud-est, face à l’îlot Impérial. On tira au sort celui qui aurait le redoutable honneur de conduire la colonne assistée d’une dizaine d’hommes de la garnison.
Le sort désigna le sergent de cuirassiers Jean-François Debrie, tourneur tabletier de son état, rue Rambuteau à Paris. Il avait appartenu à la bande, mais, excédé par sa violence, s’en était exclu de son propre chef. Il fut chargé de conduire la colonne punitive de nuit, à travers la montagne, jusqu’à une grotte située au pied de la sierra del Figueras. À la demande de Wagré, je pris part à cette expédition.
— Il faudra, nous dit Debrie, prendre des précautions. Ces bandits ont un fusil et des munitions. Ils ont approché un soldat qui pissait, lui sont tombés dessus, l’ont assommé et sont repartis avec son fusil, son chapeau et sa blague à tabac. Vous reconnaîtrez le chef : il porte un chapeau et fume la pipe. Le fusil, il l’a confié à son second.
Il nous révéla que le chef se nommait Charrat, tailleur d’habits dans le civil, et son lieutenant, Gouverne, maître serrurier.
Partis avant la tombée du jour, sous la conduite de Debrie et de Wagré, nous sommes arrivés en vue de l’îlot Impérial alors que l’aube traînait ses guenilles roses au-dessus de Majorque. Deux sentinelles postées aux abords de la grotte dormaient dans le froid de l’aube, si bien que les assommer et les bâillonner ne fut qu’un jeu. Munis de torches de résine, nous avons fait irruption dans l’abri où la troupe dormait autour d’un feu qui rougeoyait encore.
Ce fut la panique parmi la bande encore ensommeillée. Les brigands se laissèrent prendre sans résistance, d’autant que nous hurlions comme des damnés. Je mis mon couteau sur la gorge de Charrat, que j’avais reconnu au chapeau posé à son chevet, tandis que nos hommes lui liaient les mains dans le dos. Debrie attrapa Gouverne au moment où il tentait de charger sa pétoire. Le reste des hommes implorèrent notre grâce, disant qu’ils n’étaient que des sous-fifres soumis à la loi implacable de Charrat.
Notre retour fut accueilli par les acclamations, les accolades et les embrassades d’une foule massée autour du bâtiment du Conseil. J’étais dans un état pitoyable, jambes en sang, ce qu’il me restait de vêtements lacéré par les buissons d’épineux. Wagré fit ranger dans un placard le fusil et les quelques cartouches qui l’accompagnaient, estimant qu’ils pourraient nous être utiles en d’autres circonstances.
Le procès eut lieu le lendemain, avec une certaine solennité, mais l’audience fut brève.
Marty présidait, assis à l’ombre d’un caroubier, encadré de deux assesseurs, Wagré et Gille, comme Saint Louis sous son chêne. La corde au cou, Charrat fut sommé de faire la confession de ses forfaits, ce qui prit du temps. Il nia l’accusation de cannibalisme faite par Debrie, et Gouverne resta muet comme une carpe. Le verdict attendu fut exécuté, sans retard : pour le chef et son lieutenant, ce fut la pendaison. Leurs complices furent enfermés pour un mois dans la cabane qui servait de prison et qu’ils partagèrent avec les rats.
Je ne pouvais me défendre d’un mouvement de pitié envers les acolytes de Charrat. Je les imaginais sous les drapeaux, plastronnant dans leur uniforme, acclamés par des hommes et admirés par des femmes lors des défilés. L’un d’eux, le sergent Esprit Benoît, s’était battu comme un lion en franchissant le défilé de Despeñaperros, dans la sierra Morena ; le caporal Étienne Gouverne avait combattu à Baylen
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