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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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plafond à caissons décorés à la flamande, tendu de toiles d’araignées, qui rappelait la boutique d’un brocanteur mâtiné d’antiquaire, et où régnait une odeur de pourriture.
    Sa Majesté nous reçut drapée dans une robe de chambre élimée et décolorée. Il n’avait pas pris le temps de se raser et venait tout juste de passer de sa chambre à son cabinet meublé de son fauteuil de goutteux et d’un lourd bureau où s’amoncelaient des piles de documents et de livres.
    D’un ton abrupt, en bon français, il nous demanda qui nous étions et ce que nous attendions de lui. Kasthofer fit claquer ses talons, toucha le bord de son shako, déclina son identité et nous présenta comme ses collaborateurs.
    — Cela ne me dit pas ce que vous me voulez.
    — Nous souhaitons respectueusement. Excellence, vous demander des comptes sur votre gestion de la communauté dont la responsabilité vous incombe.
    — De quel droit, je vous prie ?
    — Du droit, Excellence, qu’ont les officiers de santé de s’informer des soins donnés aux malades, à quelque nationalité qu’ils appartiennent. Je viens de faire une inspection, et ce que j’ai vu…
    Il n’acheva pas sa phrase. Burguillos, les traits révulsés par la colère, l’interrompit d’un violent coup de canne sur son bureau, de coups de poing sur les accoudoirs de son fauteuil, et partit dans une logorrhée mêlant français et espagnol, avec des  Madre   de Dios  en chapelet, pour nous reprocher notre impertinence et menacer de nous faire enfermer dans les caves de son  castillo .
    Loin de se laisser démonter, Kasthofer lui donna le temps de finir sa diatribe et profita de ce que Murel s’empressait auprès de Sa Majesté et lui tâtait le pouls, pour faire état de ses griefs concernant notre condition.
    Nous fûmes surpris de voir Burguillos, soudain rasséréné, nous confier avec une fausse humilité que, face à l’indifférence des autorités majorquines, il avait l’impres­sion de s’adresser à un mur. Écrivait-il à la junte ? il n’en recevait aucune réponse. Menaçait-il de démissionner ? il lui était répondu que l’on n’avait aucun remplaçant en vue.
    Il sonna pour faire venir son laquais et lui glissa quelques mots à l’oreille. Trois minutes plus tard une sémillante soubrette surgit, porteuse d’un plateau chargé de verres et d’une carafe de vin.
    Le gouverneur bredouilla en essuyant son visage encore turgescent :
    — Mes amis, il ne sera pas dit que vous repartiez sans déguster un verre d’amontillado de mes vignobles et quelques pâtisseries que je fais venir de Santany. Approchez, approchez, et pardonnez-moi de n’avoir pas de siège à vous proposer. Je reçois si peu souvent…
    Les pâtisseries étaient succulentes et le vin un peu trop liquoreux à mon goût, mais de grande race. Il me donnait une émotion qui faillit me couper les jambes. Je n’avais rien bu d’aussi délectable depuis notre escale à Málaga. Nous en fîmes compliment à notre hôte ; il y parut sensible.
    — Croyez bien, mes amis, nous dit-il, que je compatis à votre situation et que mes bons offices vous sont acquis, mais sachez aussi que j’ai les mains liées et que je ne puis, en raison de mon état, me rendre auprès de notre junte pour convaincre ces gens d’avoir plus de considération pour vous.
    Alors que nous allions nous retirer, Kasthofer fit observer au gouverneur que le cabinet et le salon étaient imprégnés d’une étrange odeur, et qu’il devait y avoir des rats crevés quelque part. Burguillos soupira, avec un triste sourire :
    — Non,  se ñ or , cela vient de ma femme. Elle est malade depuis des mois et sa fin approche. Notre chirurgien,  el  se ñ or  Murel, pourrait vous en dire long sur elle.
    Kasthofer ayant demandé l’autorisation de l’examiner, Burguillos haussa les épaules et murmura :
    — Faites comme vous l’entendrez, mais ce sera inutile.
    Le laquais nous précéda dans la chambre contiguë, tendue sur toute sa surface de lourdes tapisseries flamandes. Un spectacle affligeant nous y attendait, et l’odeur de pourriture qui nous avait intrigués se faisait de plus en plus suffocante. La  se ñ ora  Burguillos était allongée sur son lit, un chapelet entre ses mains. La peau boursouflée et verdâtre du visage laissait deviner les os.
    Kasthofer, son mouchoir sur son nez, dit

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