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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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stricts et plus étendus en matière d’ordre public. Il décida à l’unanimité de créer des fonctions de commandant militaire et de chef de police ; l’une fut confiée à Wagré et l’autre à un sous-officier d’origine suisse, Marty, le Conseil gardant la haute main sur les affaires courantes. La direction de l’infirmerie du château fut confiée à Auguste Murel : une fonction qui allait lui occasionner moins d’honneurs que de tracas.
    Nous reçûmes sur ces entrefaites la visite d’un inspecteur majorquin, Jeronimo Battle. Accablé de honte après son inspection, il nous promit de faire un rapport fidèle de notre situation et de demander à la junte des secours supplémentaires, en vivres et outillage notamment.
     
    Au cours de ce printemps, la police eut fort à faire pour maintenir un semblant d’ordre et de discipline dans ce magma humain toujours prêt à exploser. C’est surtout contre les pillards qu’elle eut à sévir.
    Profitant de l’absence de leurs occupants, ils pénétraient dans les cabanes isolées et raflaient les réserves. Nous avions nous-mêmes été victimes de ces larrons, qui pillèrent une bonne partie de notre potager. Ceux que l’on prenait la main dans le sac étaient punis de la flagellation à la baguette ou de la savate, ce dernier châtiment consistant à rouer le coupable de coups de pied.
    J’assistais parfois à la délibération du Conseil, qui avait lieu près de l’amirauté, sous un auvent de toile, avec des moellons en guise de sièges.
    Un jour, le Conseil fit le procès d’un voleur de pain – crime majeur ! La foule était si excitée qu’une dizaine de soldats de la garnison durent veiller au bon déroulement de la cérémonie. Devoir faire appel à eux nous coûtait, mais, dépourvus d’armes comme nous l’étions, il fallait bien en passer par là.
    Lorsque je prétendis que dans la condition tragique où nous étions le vol d’un morceau de pain méritait le châtiment suprême ou du moins une lapidation, comme aux temps anciens, de bonnes âmes se rebellèrent. Je défie quiconque tient sa survie d’un croûton de ne pas avoir envie de tuer celui qui tente de le lui voler.
    Nous avions du mal, mes amis et moi, à échapper à l’avidité des malheureux qui venaient gémir devant notre masure et réclamer du secours : le leur fournir eût été nous condamner nous-mêmes.
    J’avais été affecté par le Conseil à la surveillance des cambusiers, qui se faisait par roulement. C’était pour moi un travail ingrat, objet d’une permanente suspicion. Il m’eût été loisible de distraire de la distribution quelques miettes de pain ou des fèves. Sur les mânes de mes ancêtres, j’affirme que, si j’en eus la tentation, j’y renonçai sur un rappel impératif de ma conscience.
    Wagré me confia qu’il m’avait mis à l’épreuve et avait surveillé mon travail. Il me fit compliment de mon honnêteté :
    — J’en parle en connaissance de cause. Pendant la Révolution, mes parents tenaient une boulangerie à Paris, au 3 de la rue du Vertbois. Ils devaient parfois se battre contre des femmes qui tentaient de leur voler des pains sur le comptoir.
    Il glissa une tranche de biscuit dans ma ceinture.
    — Capitaine Puymège, me dit-il en me touchant l’épaule, je suis fier de toi. Je suis persuadé que ce cadeau sera plus apprécié qu’une médaille…
    Le voleur de pain que le Conseil avait à juger était un pauvre bougre squelettique, qui chancelait de peur devant son sanhédrin. Le verdict fut exemplaire : au lieu de la pendaison, châtiment auquel il devait s’attendre, il fut livré à la foule. Une tornade de fureur se referma sur lui, sans qu’une âme compatissante eût tenté de lui porter secours. Nous retrouvâmes son cadavre mutilé et méconnaissable.
    Il y eut pire.  
    Plutôt que de prendre la fuite, un homme surpris en pleine nuit à piller un potager sortit son couteau et se rua sur ceux qui s’efforçaient de le maîtriser. Le verdict fut implacable : enterré vif sous le soleil, avec seulement la tête à l’air libre, il connut une longue agonie.
    Ceux qui échappaient à ces châtiments subissaient un supplice pire peut-être : la crucifixion, qui rappelait celle des mauvais larrons dans le Nouveau Testament. Liés à un arbre, exposés au soleil une journée entière, la plupart y laissaient leur vie.
    Le

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