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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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jusqu’au bout de ses forces, mais ils étaient incapables de maîtriser, en fonction des circonstances, leurs instincts primaires. Quelques mois de privation avaient fait d’eux des sauvages pires que les cavaliers de Gengis Khan.
     
    Par des officiers qui avaient séjourné à Fort-Mahon avant de se retrouver à Cabrera, nous eûmes des nouvelles, pas très fraîches, hélas ! d’Espagne et de France.
    Ces nouveaux venus furent ébahis et scandalisés en constatant nos conditions de vie. À Minorque, dans le lazaret qui domine le port, leur captivité avait été moins inhumaine. Ils bénéficiaient d’espaces pour leurs promenades, d’ordonnances choisies parmi de simples soldats et d’une nourriture relativement abondante. Leur solde leur permettait de s’offrir du vin, du tabac et quelques autres douceurs. Leur surveillance par une trentaine d’hommes, la seule force armée de cette île, n’avait rien de rigoureux. Ils pouvaient s’entretenir et commercer avec les officiers des navires anglais…
    C’est à un officier d’origine helvétique, le chirurgien-major Fried Kasthofer, que nous avons dû l’essentiel des informations qui nous manquaient tant. Il avait noué des liens d’amitié et de confiance avec le commandant du lazaret et le gouverneur de Minorque, don Luis Babellon, officier d’origine française, intègre et humain.
    Kasthofer nous parla de Napoléon. En octobre de l’année précédente, ce que nous n’ignorions pas, il avait jeté une grande armée sur l’Espagne et sa présence avait réveillé l’énergie de ses généraux. Partout où il surgissait avec ses aigles, la victoire sonnait du clairon. Il avait repris Madrid et remis le roi Joseph sur son trône branlant. L’Empereur rappelé en France à la suite de menaces de complot, les aigles allaient perdre quelques plumes et se faire taper sur le bec.
    À la mi-avril de cette année, Napoléon avait quitté Paris et Joséphine pour rejoindre la Grande Armée. Dans quel but ? Notre informateur n’en avait pas la moindre idée.
    Par leur tenue impeccable, les hommes de Minorque contrastaient avec la nôtre, qui devait leur rappeler la cour des Miracles. Ils s’adressaient à nous avec une once de condescendance, sinon de mépris.
    À leurs yeux, notre condition constituait une honte et un scandale. Cabrera n’était ni plus ni moins qu’un bagne. Pourquoi, nous disaient-ils, notre gouverneur tolérait-il l’incurie de la junte de Majorque ?
    — Nous allons, nous dit Kasthofer, lui faire une visite en délégation. Capitaine Puymège, fourrier Gille, et chirurgien Murel, accepterez-vous de m’assister ?
    — Il refusera de vous recevoir, lui dis-je. Nous ne le voyons que rarement sur le port. Il est inapprochable.
    — Un gouverneur fantôme, ajouta Murel. Il ne consent à m’ouvrir sa porte que lorsque sa goutte le tracasse ou pour soigner sa femme.
    Le lendemain, Kasthofer avait pris sa décision : il allait forcer la porte de Burguillos, quoi qu’il dût lui en coûter. Il insista pour que nous l’accompagnions. Nous ne pouvions contrarier par notre refus ce mouvement généreux, d’autant que la partie serait redoutable et que je me méfiais du caractère soupe au lait de notre Suisse.
    Avant de sonner à la porte du gouverneur, Kasthofer tint à visiter l’infirmerie. Auguste lui en fit les honneurs. Il se conduisit comme un inspecteur, s’irritant de voir des infirmiers lézarder et des malades réclamer des soins. Il demanda à voir la pharmacopée ; Auguste ouvrit un placard, qui ne contenait que des boîtes et des flacons vides. Il voulut savoir ce que nous faisions des morts et laissa éclater sa colère quand Auguste lui expliqua que nous les jetions dans une profonde cavité.
    — Le prêtre, s’écria Kasthofer. Je veux voir le prêtre !
    — Nous n’en avons pas, lui répondit Auguste, mais nous gardons bon espoir d’en obtenir un.
    Il fallut parlementer avec le  teniente  de la garnison pour obtenir une audience de Sa Majesté Burguillos I er , lequel, informé de la qualité de chirurgien-major du requérant, consentit à nous recevoir.
    Un escalier de pierre à demi effondré nous conduisit au palais, où un laquais en tenue du temps du roi Philippe V nous ouvrit la porte et nous escorta dans le cabinet du maître des lieux, au fond d’une immense pièce au

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