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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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venir de Palma des graines de raves, de choux et de salades. Édith n’en utilisa qu’une partie, car son jardin potager aurait tenu dans la Malmaison, et nous mangeâmes le reste. Afin de provoquer un miracle en faisant venir la pluie, elle fit brûler une chandelle de résine, et fut exaucée…
     
    Quelque temps après le sacrifice de Robinson, un grave incident allait se produire.
    Alors que les livraisons présentaient de nouveaux retards, des groupes d’irréductibles, hôtes des cavernes menés par des viragos, descendirent en colonne vers le port en menant grand tapage. Ils s’étaient donné comme chef un tambour-major de l’infanterie légère, Arnaud, un escogriffe de six pieds de haut qui avait gardé sa capote et son chapeau à la plume délavée.
    Il conduisit la horde droit sur la maison commune, demanda à rencontrer le caporal Wagré et lui intima l’ordre de réunir le Conseil sur-le-champ. Comme rien ne s’y opposait, cela fut fait dans l’heure qui suivit.
    Au cours de la réunion, sous la pression des émeutiers excités qui, au-dehors, martelaient le sol de leurs pieds nus, le tambour-major se conduisit avec une rare insolence, disant que « ces messieurs du Conseil » et les cambusiers chargés du magasin s’empiffraient au détriment de la communauté et que lui et ceux qui l’accompagnaient étaient bien décidés à mettre fin à ce scandale.
    J’étais présent et je l’entendis proférer ses insanités avec une insolence emphatique :
    — À dater de ce jour et de cette heure, dit-il, je vous destitue et prends le commandement de notre île. J’exigerai une parfaite répartition des subsistances. Ceux qui oseront s’opposer à ma volonté seront passés par les armes !
    Il y avait, dans le discours d’Arnaud, une telle incohérence que nous en sommes restés un moment bouche bée, à nous interroger du regard. Nous aurions pu penser qu’il s’exprimait sous l’empire de l’ivresse, mais où et comment aurait-il pu se procurer du vin ? Ce pantin souffrait tout bonnement d’une crise aiguë de mégalomanie, qui l’incitait à une ambition démesurée.
    Wagré tenta de lui faire comprendre qu’il faisait fausse route et que l’on ne pouvait distribuer des vivres que nous n’avions pas. Il proposa au chef des émeutiers de participer en personne à la prochaine distribution.
    — Cadeau empoisonné ! s’écria Arnaud. Vous ne m’aurez pas. Méfiez-vous ! Il me suffirait d’un signe pour que mes hommes saccagent le magasin et pendent quelques-uns des brigands que vous êtes.
    Tandis qu’il pérorait en bombant le torse, un membre du Conseil, le timonier Ducor, quitta sa place et, s’avançant par-derrière jusqu’à l’orateur, lui mit son couteau sur la gorge en lui disant :
    — Finie la comédie, Arnaud ! Tu vas être bien sage et demander à tes hommes de se retirer. Je vais ouvrir la porte, mais tu auras toujours la lame de mon couteau dans les reins. Tâche de t’en souvenir.
    Ainsi fut fait, mais à peine Arnaud, arrivé sur le seuil, eut-il, d’une voix pâteuse, ordonné la dispersion, ce fut, dans sa troupe, un énorme tollé :
    — Tu nous as trahis, Arnaud !
    — Vendu aux affameurs !
    — Misérable, tu paieras pour ta trahison !
    Je me mêlai aux membres du Conseil pour résister à l’assaut des rebelles qui, armés de bâtons et de couteaux, tentaient d’envahir nos locaux. Nous évitâmes à Arnaud d’être écharpé en lui imposant une retraite au fond de la salle. J’écopai de quelques ruades, esquivai les couteaux mais donnai autant de horions que mes forces me le permettaient.
    Des coups de feu autour du magasin de vivres mirent fin à l’escarmouche. Une dizaine de soldats de la garnison, alertés par le mouvement et le bruit de l’émeute, s’étaient postés autour de ce bâtiment et tiraient une salve aux oiseaux qui fit plus de bruit que de mal et eut pour résultat de faire refluer la rébellion.
    Restés maîtres de la place, nous avions des victimes à relever et à soigner. L’un des nôtres, blessé d’un coup de couteau à la gorge, mourut dans la soirée.
    Arnaud fut mis au frais dans la cahute qui servait de prison à la communauté, et durant une semaine, au pain et à l’eau, il eut tout loisir d’y méditer sur ses ambitions dérisoires.
    Cet incident incita le Conseil à se nantir de pouvoirs plus

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