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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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plutôt la mine révulsée de l’aumônier de Bougainville débarquant sur l’île d’O’Tahiti entouré de Vénus exotiques…
    Sa présence répondait surtout à la demande des malades de l’infirmerie. Les fils de la Révolution appréhendaient de mourir sans les derniers sacrements. Pétri de tolérance, je ne voyais pas d’un mauvais œil cette intrusion, avec l’espoir que, par l’intermédiaire de ce religieux, notre sort serait amélioré.
    J’étais présent lorsque Marty et Wagré firent à notre hôte les honneurs de nos installations et lui assignèrent une cabane proche du Palais-Royal, abandonnée par les hommes de Kasthofer, où son assistant déposa leurs bagages.
    Alors qu’il se rechaussait, don Damian, comme nous allions l’appeler désormais, nous révéla, dans un français châtié, les motifs de sa présence :
    — Ne le prenez pas en mauvaise part, mais je dois vous avouer qu’à l’annonce de cette décision par monseigneur l’évêque j’ai failli me récuser. Je me demandais si j’aurais le courage d’exercer mon sacerdoce auprès de ces  Franceses  que nos bons Majorquins ne portent pas dans leur cœur, c’est le moins que je puisse dire ! Alors, quand j’ai vu cette foule de loqueteux, j’ai failli reprendre la mer !
    — Rassurez-vous, mon père, lui répondit Gille, vous n’aurez pas affaire aux naturels des îles Salomon. Si nous avons décidé de réclamer un religieux, ce n’était pas, pardonnez-moi ! pour en faire des grillades. En revanche, mon père, je crains que vous ne supportiez mal notre régime…
    La première préoccupation du père Damian fut de faire édifier une chapelle, celle du  castillo  n’ayant à lui proposer qu’une ruine. Il fallut trois jours à une équipe d’une dizaine de volontaires pour lui donner satisfaction. On affecta à cet édifice rustique aux murs de torchis et à la couverture végétale un vocable choisi par les prisonniers et que le père accepta : Notre-Dame de la Délivrance. Avec une dalle de schiste polie et taillée au carré en guise d’autel, et une croix façonnée dans un morceau de chêne vert.
    La consécration eut lieu en présence d’une foule débordant jusque sur le parvis. Des musiciens interprétèrent quelques pièces de musique sacrée et le chœur entonna des alléluias. Chaque matin, l’assistant Diego, un garçon bouffi et quasiment muet, agitait sa sonnette en passant de case en case pour convier les fidèles à la messe. Peu après résonnaient dans le silence du matin les chants sacrés qui, je dois en convenir, réveillaient en moi des émotions oubliées, du temps où j’accompagnais ma mère à l’office de Saint-Cernin.
    Le nombre des fidèles s’accrut très vite, au point que le père Damian envisagea la construction d’une véritable église avec un clocher, édifiée avec les vestiges du temple de Junon. On dut se contenter, devant l’ampleur de cette réalisation, d’ériger quelques oratoires rustiques dans la montagne.
    À force d’entendre louer les mérites du père Damian, je fus sur le point de tenter de nouer des rapports, sinon amicaux du moins cordiaux, avec lui. Si l’évêque de Palma nous avait dotés d’un ministre capable de ranimer l’espoir et de nous donner la patience d’attendre la libération, je ne pouvais que m’en réjouir, mais sans ressentir pour autant les frissons annonciateurs d’une reconversion.
    Un jour où Édith nous revenait d’un office du soir avec un air de miraculée, je l’entendis, éberlué, me dire :
    — Laurent, consentirais-tu à me suivre ?
    — Où cela, ma chérie ? lui répondis-je.
    — Voir le père Damian, toi et moi.
    — Mais voyons, tu sais bien que…
    — Oui, je sais ! Tu as renié Dieu et tu en souffres sans le savoir. Demain, nous irons lui rendre visite. Je lui ai parlé de toi. Il souhaite te rencontrer.
    Je bougonnai :
    — Après tout, cela pourrait me distraire. Tu sais que j’apprécie la controverse.
    D’une voix devenue grave, elle me fit cette déclaration stupéfiante :
    — À dater d’aujourd’hui, ni toi ni Auguste ni Gille ne serez plus autorisés à me faire l’amour. Lorsque je lui ai confié notre situation, le père s’est mis en colère et m’a promis une damnation éternelle si je donnais suite à nos rapports.
    Édith, en toute innocence, lui avait révélé le contrat tacite

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