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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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Minorque, qu’ils avaient quitté quelques semaines auparavant ! Ceux qui restaient allaient être embarqués un peu plus tard pour une destination inconnue.
    Cela donne une idée de la confusion qui régnait dans le gouvernement de la Grande Baléare…
    Sans vouloir l’exonérer de toute responsabilité concernant notre état, je dois convenir que ses membres devaient broyer du noir : ils étaient en butte à des difficultés financières, devaient subir les caprices des fournisseurs de vivres, s’inquiéter du mouvement de la flotte française qui avait quitté Toulon et semblait faire voile vers l’archipel, sans que l’on puisse compter, pour la repousser, sur les navires anglais qui patrouillaient autour des îles. Il y avait de quoi se faire du mauvais sang : les prisonniers, une fois libérés, n’allaient-ils pas se répandre dans les îles et chercher à se venger des mauvais traitements qu’ils avaient subis ?
    Ces craintes ne tardèrent pas à se justifier et à ranimer notre espoir de libération, mais en partie seulement.
    Un jour de juillet, un vaisseau corsaire français, dirigé par le capitaine Barbaro, s’empara du brigantin anglais de surveillance autour de Cabrera et disparut. L’escadre anglaise tenta vainement de le retrouver.
    Un ordre des autorités majorquines tomba : « Si quelque navire étranger entrait dans la baie de Cabrera, nul ne serait autorisé à prendre des contacts avec ses occupants, ni, a fortiori, monter à bord, sous peine de sévères châtiments. »
    Dans les mois qui suivirent, d’autres alertes allaient donner des sueurs froides à la junte, raviver nos espoirs puis les décevoir. Le bruit avait couru, au début de l’automne, que douze navires français avaient appareillé à Rotterdam et Anvers pour faire voile vers les Baléares. On fut sur le point de nous transférer dans une caserne désaffectée de Palma, mais on se heurtait à une double difficulté : la population n’aurait pas admis cette intrusion massive, et le transport de milliers d’hommes posait des problèmes. Le projet fut abandonné.
     
    Un matin de juillet, alors que nous procédions à nos ablutions dans une crique voisine de la Malmaison, dans un agréable cadre de verdure, Édith nous montra du doigt un point sur l’horizon de la mer, en disant :
    — Tiens ! Une barque à voile. Peut-être enfin une bonne nouvelle…
    — Je parierais plutôt pour une mauvaise, dit Gille.
    Cette scène se déroulait la veille de l’anniversaire de Baylen, mais il eût été surprenant que l’on nous envoyât quelques barriques pour fêter l’événement.
    — Sait-on jamais ? dit Auguste.
    Édith et moi avions terminé la récolte d’algues dont elle faisait des soupes qui, à défaut d’être savoureuses, tenaient au corps. Nous nous sommes, si l’on peut dire, rhabillés pour nous rendre au port afin de savoir à quoi rimait cette visite.
    La barque ne nous apportait pas du vin mais… un religieux. Nous le vîmes avec stupeur retrousser sa soutane, ôter ses souliers et sauter de la barque pour gagner le rivage. Il était suivi d’un assistant lourdement chargé, qui faillit perdre l’équilibre en marchant sur les galets.
    — Un curé… bougonna Auguste. À défaut de nourritures terrestres, nous aurons au moins les promesses du ciel. Un fameux cadeau !
    — Mécréant ! s’écria Édith. Tu méprises les nourritures spirituelles alors qu’elles seront d’un grand secours pour ceux qui, comme moi, ont gardé la foi. Qu’en dis-tu, Gille ?
    Gille avait tout lieu d’être satisfait : une semaine avant, il avait signé une nouvelle requête, la dixième au moins, demandant l’envoi d’un religieux. Sur ce plan-là, Majorque était bien pourvue : elle aurait pu nous envoyer toute une congrégation d’enfroqués !
     
    Don Damian Estelrich ne payait pas de mine. Proche de la quarantaine, de taille médiocre, chafouin, mal rasé, doté d’un chapeau en forme de chéneau, il ne présentait rien qui pût inciter à la confession. Gille lui trouva un air d’inquisiteur.
    À peine à terre, il parcourut la foule d’un regard sombre, choqué, semblait-il, par le spectacle de ces misérables, femmes et hommes, nus ou à demi vêtus de guenilles. Peut-être s’attendait-il à trouver, pour saluer sa venue, des militaires en uniforme et une fanfare. Il montrait

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