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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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qui donner l’extrême-onction.
    Toute la journée fut nécessaire pour apporter les premiers secours aux plus affectés par la tornade. Ils étaient si nombreux que nous ne savions où donner de la tête et que nous tenions à peine sur nos jambes. Il fallut récupérer ce qu’il restait des tentes, souvent des lambeaux, afin de les redresser pour y réinstaller leurs occupants.
    — Notre communauté risque une épidémie, nous dit le  capell á n . Je vais intervenir pour que Desbrull nous envoie des renforts au plus vite. Au besoin, je me rendrai moi-même à Palma pour plaider notre cause.
    Dans l’attente de ces mesures, nous avons fait transférer au château ce qu’il restait des malades de l’infirmerie sous tente, pour y être mieux soignés. Il fallut user de treuils et de poulies pour les faire accéder, en attendant mieux, à la plate-forme supérieure dont l’escalier s’était effondré. Certains moururent au cours de leur transfert.
    Grâce à l’intervention du père Damian et au bon vouloir du commissaire Desbrull, Auguste reçut de nouveaux remèdes : tisanes, vin, cordial, opium…
    Avant la tornade, l’infirmerie du château comptait environ deux cents malades. Les survivants furent confiés à des officiers civils venus de Majorque : chirurgiens, médecins, pharmaciens et  enfermeros superiores  (infirmiers qualifiés), ainsi que des blanchisseurs, des cuisiniers et un boucher. Cela faisait beaucoup de monde dans un espace aussi restreint. Quelques-uns de nos officiers installés dans les ruines durent céder leur place pour les loger durant la semaine qu’ils passèrent dans l’île.
     
    J’étais agréablement surpris des efforts du père Damian pour venir en aide à la communauté pécheresse.
    Je le revois encore courir d’un camp à l’autre dans sa soutane frangée de gadoue, lacérée par les broussailles, son bonnet carré posé de travers, pour aider l’un à redresser sa cabane, un autre à retrouver des ustensiles de ménage disparus. Il demanda et obtint de Desbrull un envoi de tentes et de couvertures ainsi que le transfert à Palma d’un malheureux en train de perdre la vue et d’une femme sur le point d’accoucher, sans s’informer sur l’identité du géniteur.
    Avec un zèle et une énergie inaltérables, il nous aida à crocheter dans la mer des cadavres d’hommes emportés par l’ouragan. Par mesure de salubrité, on fit brûler les corps et enfouir leurs restes dans une fosse commune, recouverts de pierraille à défaut de chaux vive.
     
    L’hiver venu, de nouvelles épreuves allaient fondre sur nous. En quelques mois, près d’un millier de prisonniers furent victimes du froid et de la malnutrition. Il fallut les incinérer dans un endroit éloigné de toute habitation, au milieu d’un ancien enclos de figuiers qui reçut le nom de Vallée des Morts.
    Les malversations des cambusiers ayant alerté le commissaire, trois de ces scélérats furent emprisonnés dans une cave du château. Il s’ensuivit une émeute à laquelle je fus mêlé à mon corps défendant.
    Un matin, Wagré me mit entre les mains un solide gourdin en me demandant de ne pas hésiter au besoin à en user contre cet amas de spectres qui menaçaient de nous lapider, piétinant la terre gelée de leurs pieds nus, engoncés dans des couvertures qui leur donnaient des allures de manchots sur la banquise. Quelques soldats de la garnison, en s’interposant entre eux et nous, évitèrent un incident.
    L’affaire en resta là, et les cambusiers retournèrent à leur géhenne.
    À quelques jours de là débarqua un patricien de Palma, don Joaquim Pons. Envoyé par la commission de contrôle de la junte, ce personnage portait beau dans son uniforme partie civil et partie militaire, sous un chapeau à plumes à larges bords. Venu s’enquérir des risques de mutinerie, laquelle eût mis la junte dans un fameux embarras, ce mirliflore nous tint en français un discours d’une grande élégance sans cesser d’agiter sa canne avec des gestes d’histrion.
    Il s’écria, avec des trémolos :
    — Les malheureux qui souffrent sur leurs grabats recevront bientôt les remèdes et les soins auxquels ils ont droit ! Nous avons été informés, par des gens qui ont séjourné chez vous, des mauvais traitements qu’ils subissent de leurs infirmiers, lesquels recevront du ciel et des hommes les

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