Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
Vom Netzwerk:
résumaient à des gesticulations verbeuses qui ne risquaient à aucun moment de m’ébranler. Je répondais parfois par des sourires, qu’il prenait pour de la provocation. Il était si parfaitement sot, ignare et brutal que j’eus à maintes reprises le sentiment de me trouver confronté à un de ces inquisiteurs qui sévissaient encore dans le pays. J’avais lu la Bible ; il n’avait fait que la survoler. Je lui opposais des citations ; il se dérobait en grinçant des dents. Je supportais cette controverse avec le sourire, lui avec des grimaces.
    Il était évident, lorsque je rompis l’engagement, que nous n’étions pas faits pour nous entendre.
    Déception d’Édith après confesse :
    — Je te plains, Laurent ! J’étais convaincue qu’après avoir parlé à ce saint homme tu reviendrais au sein de notre mère l’Église, et tu persistes dans tes erreurs ! Regarde autour de toi ! La foi s’est réveillée, la chapelle est trop petite pour contenir tous les enfants de Dieu qui nous entourent, et toi… et toi tu restes sur le seuil avec tes idées… tes idées  philosophiques  ! Tiens, j’en viens même à être heureuse que tu ne me touches plus !
    Auguste et Gille, plus malléables que moi, avaient à contrecœur cédé à notre compagne et consenti à suivre quelques offices, « pour assister, disaient-ils, à la partie musicale et chantée ». Ils y renoncèrent vite, les sermons du père frisant l’insulte et la provocation. On n’allait pas tarder à enregistrer les signes avant-coureurs d’une désertion des fidèles.
    Don Damian Estelrich, sous des apparences austères, vivait dans sa nouvelle résidence, une salle du  castillo  – « mon presbytère », disait-il –, comme un cardinal, ou peu s’en fallait. Auguste, qui lui rendait fréquemment visite pour des raisons tenant à son service à l’infirmerie, en était indigné.
    — Il dispose, nous dit-il, d’une grande pièce qu’il a fait restaurer par des prisonniers et meubler par le gouverneur. Il a en outre une grande cheminée, un cabinet et une garde-robe pour les nécessités. Sa table, mes amis, ne manque de rien. À chacune de mes visites j’ai droit à des friandises et à un verre d’amontillado. C’est pourquoi je le vois fréquemment…
    Un jour, alors que le père Damian avait abandonné son visiteur pour répondre à un appel du gouverneur, Auguste en avait profité pour ouvrir le placard où était rangée la réserve de vivres.
    — Ah, mes amis… La caverne d’Ali Baba !
    Il s’était rempli les poches et n’avait pas attendu le retour du curé pour s’éclipser. Durant trois jours, nous avons eu droit aux délices de Capoue, sauf qu’il y manquait du vin.
    Cette découverte incita Auguste à étaler sur la place publique l’hypocrisie de ce personnage qui menaçait de l’enfer les sceptiques et se gavait des fruits du paradis. Il y mit une telle ardeur qu’en moins d’une semaine toute l’île fut informée que le sauveur d’âmes était avant tout soucieux du bien-être de son ventre. Il ne resta bientôt autour de lui que des irréductibles, les habituelles grenouilles de bénitier, et même les musiciens et les choristes désertèrent l’autel. Édith elle-même, dépossédée de ses illusions, bouda les offices.
    Notre  capell á n  avait une autre marotte : éloigner les femmes de notre communauté. Il s’y employait auprès de la junte avec une frénésie d’inquisiteur.
    Il s’en était pris dans un premier temps aux soldats de la garnison, jugés « dévoyés, lubriques et ivrognes », adeptes de vices connus de nous et dont nous nous étions accommodés. Ils avaient à leur disposition quatre femmes, des maritornes à tous usages, qui ne sortaient pas du château. Leurs fêtes scandaleuses troublaient le saint homme dans ses prières et le poursuivaient dans son sommeil.
    Il décida de passer à l’action et informa un des commissaires de la junte, le chevalier Desbrull, que la présence des catins de la garnison l’importunait, mais pire encore celle des femmes de la communauté, dont la plupart menaient une vie offensante pour la morale chrétienne. Les transférer toutes à Majorque pour les confier au monastère de la Pitié eût selon lui présenté un triple avantage : sauver leur âme pécheresse, limiter dans notre île l’extension des

Weitere Kostenlose Bücher