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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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maladies vénériennes et faire bénéficier les prisonniers de leurs rations.
    Il n’avait pas tout à fait tort, du moins quant au mal italien dû au manque d’hygiène dans les rapports entre hommes et femmes. Il proliférait, et Auguste n’avait pour le combattre que des moyens dérisoires ou de simples conseils, mais le savon même nous faisait défaut !
    Sans attendre la réponse de la junte – elle ne vint jamais –, le padre, agissant en lieu et place du gouverneur, lequel, d’ailleurs, se reposait sur lui pour toutes ses décisions, exigea que toutes les femmes de l’île se fassent recenser afin qu’il soit éclairé sur leur identité et leur condition. Il y avait trois catégories :  que se dice mujer  (femmes publiques),  que se dice esposa l e gitima  (les femmes mariées) et  que se dice   manceba  (concubines). Une seule,  que se dice mujer , consentit à se faire inscrire, mais, à peine embarquée dans la chaloupe qui la conduisait à la canonnière Apostado, elle sauta à la mer pour regagner le rivage, où elle retrouva la liberté.
    À celles qui revinrent écouter ses sermons, notre  capel l á n  signifia qu’il avait décidé d’employer la manière forte pour les ramener dans le droit chemin. Les rebelles seraient arrêtées où qu’elles se trouvent, jetées en prison, au pain et à l’eau, jusqu’à la repentance. Le gouverneur s’y étant opposé, cette mesure draconienne resta lettre morte.
    Au lendemain d’une tornade suivie d’inondations qui nous avait laissés dans la boue, cette Cassandre s’écria devant ses fidèles :
    — Je vous avais prévenus contre les colères du ciel ! Il vous a punis de vos péchés. Si vous avez souffert, ne vous en prenez qu’à vous !
    L’indifférence que certains manifestaient devant les gesticulations de ce Basile allait muer en colère, puis en haine.
    Informé de notre détresse, le commissaire Desbrull se montra compatissant. Il nous fit livrer de nouvelles tentes et des rations supplémentaires, la plupart de nos réserves et celles du magasin ayant été anéanties.
    Il n’oublia pas les malades et nous envoya des médicaments. L’état de ces malheureux était tel que les infirmiers négligeaient de leur donner des soins, par dégoût ou persuadés que ce ne serait que retarder leur fin de quelques jours. À voir leur peau partir en lambeaux, on parlait à mots couverts de lèpre. Certains, leurs doigts de pied collés entre eux, ne pouvaient quitter leur grabat. Les soins « à tous chevaux », comme disait Auguste, quina et acide sulfurique dilué, n’y faisaient rien.
    Un soir de novembre, nouvelle alerte. Le ciel se couvrit de lourdes nuées couleur de suie et d’ardoise, balayées d’éclairs sauvages. Cette danse phosphorescente ne cessa que pour faire place à une pluie diluvienne qui, en quelques heures, transforma notre île en un magma brumeux d’une telle densité que l’on n’y voyait pas à dix coudées.
    La quasi-totalité des cabanes et des tentes furent balayées en moins d’une heure. La nôtre, malgré ses assises solides, subit le même sort. Seuls échappèrent au cataclysme les habitants des cavernes.
    Pour éviter d’être emportés par les torrents de boue descendus de la montagne ou écrasés par les rochers, nous dûmes chercher refuge dans la grotte la plus proche de la Malmaison, déjà occupée par une dizaine d’hommes et de femmes. Nous nous sommes bientôt retrouvés là une cinquantaine, entassés comme harengs en caque, transis de froid et morts d’inquiétude, autour d’un maigre feu.
    Le matin venu, le ciel s’étant rasséréné, je laissai à mes compagnons le soin d’estimer les dégâts, ma patte folle me faisant souffrir.
    Un spectacle de désolation les attendait. Les tentes envoyées par Desbrull pour les malades et installées sous le château avaient été emportées comme des feuilles mortes, les malades roulés dans la boue, éparpillés dans la broussaille, membres fracassés sur les rochers. Dans la journée, ma souffrance marquant un répit, j’aidai de mon mieux les sauveteurs à extraire de la gangue de boue les derniers survivants dont certains, accrochés à des arbustes, suppliaient qu’on leur vînt en aide.
    Le père Damian n’hésita pas à retrousser ses manches et le bas de sa soutane pour nous aider, cherchant à

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