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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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qui nous liait : le partage de ses faveurs. Malgré, dans les débuts, un autre partage, celui de la jalousie, cette situation ne nous avait pas donné lieu de nous plaindre, chacun y trouvant son compte. J’aurais pu me prévaloir de notre mariage fictif pour éliminer la concurrence, mais cela eût peiné mes deux amis et envenimé l’ambiance sereine de la Malmaison. Après quelques réserves pudiques, Édith avait accepté ce compromis et n’eut pas à s’en repentir. Elle s’efforçait de ne pas marquer ses préférences, encore, m’avouait-elle, que je fusse le seul à lui donner pleinement satisfaction. Auguste était peu porté sur la  chosette , et Gille, avec son allure rustique, n’avait rien d’un Eliacin. Nous avions en outre, par-devers nous, un bagage de souvenirs communs.
    Et voilà que ce satané curé menaçait de rompre ce bel équilibre !
    Nous avions, mes deux amis et moi, la chance d’avoir à domicile de quoi satisfaire ce qu’il nous restait de virilité. Il n’en allait pas de même de la plupart de nos compagnons de misère, qui devaient se contenter de reluquer des nudités féminines qui ne rappelaient en rien la Pompadour.
    Il y avait sur l’île une cinquantaine de femmes. Certaines avaient la chance d’avoir un mari ou un compagnon ; les autres, vivandières ou filles à soldats raflées dans le branle-bas de la défaite et laissées pour compte, étaient, au propre, à vendre ou à louer au cours de transactions qui se déroulaient dans les boutiques du Palais-Royal.
    À ceux qui, comme moi, avaient gardé quelque argent dans leur ceinture, on donnait le nom de « capitalistes », avec une pointe d’envie et de mépris. Pour dissiper leur ennui, certains s’offraient le meilleur choix en matière de compagnes provisoires ou à long terme, louant, acquérant et revendant suivant l’état de leurs finances et de leurs goûts. J’ose à peine l’écrire : on mettait certaines de ces pauvres créatures en loterie ou aux enchères, les plus prisées étant les Polonaises.
    Gille s’enticha ainsi de l’une d’elles, Rosa, veuve d’un lancier de la Vistule, guerrière couturée de cicatrices. Il l’obtint avec l’argent que je lui prêtai, jouit d’elle une semaine puis la revendit avec bénéfice à un cambusier.
    L’ambiance de notre quatuor matrimonial était au beau fixe avant que le père Damian ne s’en inquiétât. Édith n’allait pas tarder à mettre un terme à nos relations contractuelles, sous prétexte qu’elle y perdait son âme et qu’elle était « rongée de contrition ». Je n’avais aucun mal à reconnaître dans ce galimatias l’inspiration de son confesseur. Néanmoins, je consentis à l’accompagner à la chapelle, non pour me livrer à une confession mais pour engager le fer.
    Don Damian Estelrich me toisa et me dit, du ton d’un mentor réprimandant un mauvais élève :
    — Capitaine Puymège, je ne devrais pas tolérer votre présence dans ce lieu saint, mais ma paroissienne a souhaité cette rencontre. Je connais vos opinions, mais sachez que vous allez affronter un roc !
    — Il n’est roc qui ne s’effrite avec le temps, lui répondis-je d’un ton narquois. Je suis moi-même dur comme pierre dans mes opinions philosophiques, ce qui risque de provoquer des étincelles, mais cela ne me déplaît pas. Des pourparlers évitent parfois les guerres.
    — Il ne saurait être question entre nous, capitaine, de philosophie mais de religion.
    J’avais accepté de suivre Édith, mais je m’étais opposé à ce que la rencontre se poursuivît dans la chapelle. Le père, pas plus que ma compagne, ne fit de difficultés. Édith nous laissa seuls sur un banc proche du bâtiment, à l’ombre d’un gros mûrier, tandis qu’elle allait flâner dans les allées du Palais-Royal et assister à une répétition de l’orchestre et des choristes dans la maison commune.
    Notre entretien n’eût rien qui pût changer l’ordre du monde. Le  capell á n  était campé sur ses positions, moi sur les miennes, et nous n’avons fait que nous observer et user de nos arguties comme de cartouches, ce qui ne nous faisait ni avancer ni reculer, moi serein, lui contracté et prêt à faire donner le canon.
    Je retirai de cette confrontation l’impression que ce curé ne faisait que rabâcher son catéchisme et que ses opinions personnelles se

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