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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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illettrés, hélas trop nombreux, et diverses autres activités.
    Je ne puis oublier la visite que je reçus à la Malmaison, peu après le départ de Gille pour Minorque. Un caporal de voltigeurs, illettré et humilié de l’être, Marsac, se présenta d’un air gêné, en triturant son chapeau, comme pour mendier un morceau de biscuit. Je le mis à l’aise en le priant de s’asseoir sur la murette et de me dire ce qui l’amenait.
    Il voulait apprendre à lire et à écrire. Son milieu familial rural était hostile à toute forme d’éducation, alors qu’il se sentait attiré par elle. Il aurait pu rompre ce carcan en demandant au curé du village de lui venir en aide, mais la conscription l’avait emporté sans qu’il sache signer de son nom.
    Dans l’armée, il avait subi de telles humiliations qu’il s’était juré, s’il en avait l’occasion, de s’instruire. À Cabrera, il en avait tout le temps mais n’avait pas trouvé son mentor. C’est alors qu’il avait pensé à moi alors qu’avec Édith et Auguste je venais de créer une classe de mathématiques élémentaires.
    J’acceptai de le tirer de son ignorance. Il me fallut une infinie patience pour dégrossir cet esprit massif mais animé d’une volonté inébranlable, et du temps, après lui avoir appris à tenir une plume et à aligner des bâtons, pour lui faire dessiner et comprendre les lettres, puis assembler des mots pour composer des phrases… J’y pris autant de plaisir que lui. Il avait les larmes aux yeux lorsque, après des mois, il réussit à écrire à sa famille une lettre qu’il ne put lui faire parvenir, et pour cause.
    Devant l’association des mots et des idées, il se trouvait en présence d’un mystère qui l’avait longtemps dépassé : une sorte de religion ou de magie qui lui donnait, avec la notion de son existence, un pouvoir inattendu capable de balayer en lui ce qu’il restait d’une honte accumulée depuis des années.
    Nous avions, lui et moi, donné l’exemple. Un peu ivre de ses nouvelles connaissances, il en parla autour de lui, si bien que nous fûmes assaillis de demandes et que s’imposa l’idée d’une école. Des officiers et des femmes prirent cette institution en main, avec plus ou moins de patience et de bonheur, le plus difficile étant de nous procurer du papier, des mines et de l’encre. À la requête de notre  capell á n , l’évêque de Palma nous en pourvut en suffisance.
    Auguste me dit un jour, après avoir constaté l’abondance des élèves :
    — J’ai l’impression que la moitié des prisonniers enseigne l’autre moitié…
    Les cours d’alphabétisation avaient entraîné la naissance d’écoles de diction, de danse, d’armes, d’histoire, de géographie… Les classes avaient lieu en plein air, sous de larges auvents de feuilles, en présence d’une assemblée de curieux qui donnaient leurs avis. Ainsi, il était plaisant d’entendre notre fat de maître de danse, sous-officier de dragons, accompagné d’un violoniste, lancer à ses élèves, qui semblaient sortir du ruisseau, vêtus de hardes :
    — Allons ! Davantage de grâce… Étudiez votre rond de jambe et souriez, nom de Dieu ! C’est une gavotte, pas une marche funèbre !
    Un spectacle aussi pittoresque nous attendait chez le maître d’armes, mon vieil adversaire de la  Vieille-Castille , Hubert de Bridache, qui avait perdu son uniforme mais gardé son chapeau. À défaut d’armes blanches, il avait fabriqué des sabres et des épées de bois qu’il mettait à la disposition de ses élèves. Il était fier de son titre de « bâtonniste », et du « moulinet à quatre faces », sa botte favorite.
    Gille avait tenté en toute innocence de créer une classe de culture physique, mais avait dû y renoncer. Ses élèves refusaient d’ajouter des épreuves inutiles à un état physique qui frisait l’asthénie. Incapable de rester inactif, il s’était rabattu sur des leçons de natation.
     
    Au printemps de l’année 1811, notre situation s’était sensiblement améliorée, du fait d’une baisse d’effectifs entraînée par le nombre des décès, ainsi que du négoce régulier avec des marchands de Palma qui appréciaient notamment nos travaux de vannerie. Notre moral s’en trouva réconforté.
    Le besoin de divertissement devint impératif. Danser, chanter en chœur des

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