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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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soldats, n’y avait mis le holà, ils auraient eu très vite la haute main sur toutes les activités commerciales et artisanales de Cabrera.
     
    Édith avait fini par nous avouer, sans que nous l’en ayons priée, les conditions de notre agression, qu’elle avait été seule, en tant qu’actrice principale si je puis dire, à suivre de bout en bout. Nous n’avons pas été surpris d’apprendre qu’elle avait subi un triple viol. Au ton de sa confidence, il était aisé de comprendre qu’elle en gardait un profond traumatisme et ne pourrait jamais oublier cet incident.
    Notre intimité n’en fut guère troublée, jusqu’au jour où elle confia à Auguste que ce viol collectif avait laissé des traces non seulement dans sa mémoire mais dans sa chair. Elle se prêta, non sans réticence, à une auscultation par notre ami. Le diagnostic fut inquiétant.
    — Aucun doute, me dit Auguste. Édith est atteinte d’une blennorragie ou, pour être plus clair, d’une vérole contractée tu imagines dans quelles conditions. Notre pharmacopée ne comporte aucun remède pour ce mal contagieux. Alors, prudence…
    Il ajouta, en hochant la tête :
    — Il lui serait interdit, en temps normal, les boissons fortes et une nourriture trop riche, mais elle est à l’abri de ces dangers, ce qui peut être considéré comme une chance. Quant aux bains, ils ne peuvent que lui être bénéfiques. Il est recommandé de même de coucher sur un matelas dur, ce qui est son cas. En revanche, sa faiblesse risque de favoriser les progrès du mal.
    L’aggravation de son état pouvait-elle permettre d’appréhender une fin rapide ? Réponse : oui, si l’infection gagnait les parties génitales et gâtait le sang.
    — Alors, dis-moi, que faire ?
    Et Auguste de répondre d’un air fataliste :
    — Rien, je le crains. Je vais tâcher d’obtenir du commissaire de santé de la junte de l’iode et des sels d’argent à administrer par injections. En attendant, il faudra éviter à notre malade les travaux pénibles.
    En apparence, rien ne changea dans le comportement quotidien de notre compagne, sinon qu’elle s’étonnait des prévenances que nous ne cessions de lui témoigner. Nous sacrifiions une part de nos rations pour entretenir ce qui restait en elle d’énergie. Elle protestait et nous remerciait d’un sourire ou d’un baiser. Elle avait perdu de sa belle humeur, ne fredonnait plus ses chansons favorites, mais ne se plaignait pas. J’imaginais Josefa dans les mêmes circonstances : elle se serait répandue en gémissements et en imprécations.
     
    À chaque livraison de Nicolas Palmer, nous tentions, par son subrécargue, d’avoir des nouvelles de la Péninsule. Il fallait parfois faire briller quelques pesettes pour lui délier la langue, sans être certains de la fiabilité de ses dires.
    Pour notre armée, les victoires alternaient avec les défaites. Elle gagnait du terrain d’une part et le perdait de l’autre. Nos généraux, Masséna, Soult, Suchet, Ney, accomplissaient des actions d’éclat, mais ce qu’ils tenaient d’une main ils le perdaient de l’autre. Ils étaient englués dans un magma sanglant qu’ils brassaient vainement pour s’en extraire.
    Une nouvelle nous fit chaud au cœur.
    L’Espagne traversait une mauvaise passe. Des troubles annonciateurs d’insurrections générales agitaient ses colonies d’Amérique. Le colosse érigé par Charles Quint se fissurait de toutes parts. Un jour viendrait, nous disions-nous, où le soleil cesserait de briller d’un bout du monde à l’autre sur cet immense Empire.
    Le roi Joseph, Pepe Botella,  el  Rey intruso , entrait et ressortait de Madrid comme un coucou helvétique de son horloge. Encensé par une cour veule d’ afrancesados , il était méprisé par les généraux, qui ne voyaient en lui, comme disait Napoléon, qu’un fonctionnaire « incapable de lire un état de service », un fantoche que la moindre émeute balaierait. Sa Majesté se contentait, entre un spectacle au théâtre, un bal ou une revue des troupes, de s’informer d’une situation militaire si complexe qu’elle y perdait son latin.
    Il avait prévu que son règne serait pour lui « un objet de terreur et d’exécration ». Les événements allaient accréditer cette prophétie.
     
    Un matin de mai de l’année 1811, une frégate aux couleurs de

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