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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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à inscrire à notre répertoire des pièces lyriques.
    Le capitaine Barizel, excellent musicien, nous y aida. Sous-chef de musique de la Garde de Paris, lauréat du Conservatoire, il avait appris à diriger un orchestre et une chorale. Son choix se porta sur un drame lyrique en trois actes de Monsigny,  Le   Déserteur , dont il avait pu recréer les partitions. Ce spectacle remporta un succès inespéré, si bien qu’il fallut quatre représentations pour satisfaire notre public.
    Je constatai avec joie qu’Édith prenait au sérieux son travail de comédienne et s’y donnait corps et âme, avec même trop de conviction, au point de quitter parfois la scène épuisée. Quand je lui reprochais ses excès, elle répliquait :
    « Mon ami, j’ai trouvé là un exutoire à mon mal, à défaut d’un remède efficace. Pourquoi m’en priverais-je ? »
    Un soir, dans  L’ É cole des femmes , où elle tenait le rôle de Georgette, alors qu’elle lançait à Arnolphe : « Vous êtes un benêt, un impudent ! », elle perdit connaissance, ce qui nous obligea à interrompre la représentation.
    De retour à la Malmaison, après avoir bu un verre d’eau, elle avait repris des couleurs mais ses jambes se dérobaient.
    Elle bredouilla, en s’allongeant sur son grabat :
    — Rassurez-vous, mes amis : ce n’est qu’un malaise. J’ai beaucoup donné de moi ces temps derniers, et je le paye. Demain, vous verrez, tout ira mieux et je pourrai remonter sur la scène.
    — Demain, lui dis-je, tu te reposeras, et de même les jours suivants. Le théâtre, c’est fini pour toi. Tu devras te contenter d’être spectatrice.
    Elle protesta :
    — Qui es-tu, pour me donner des ordres ? Ne serais-je plus maîtresse de mes décisions ?
    Auguste me prêta main-forte, en pure perte, pour la convaincre que ce serait folie de remonter sur la scène. Il fallut l’intervention de Foucault pour lui faire comprendre qu’elle devait renoncer, d’autant qu’il n’était pas sûr qu’elle pût tenir son rôle jusqu’au bout. Elle en fut accablée.
    De ce jour, son mal ne fit que s’aggraver. Elle dut se priver, en raison de la longue marche à travers la montagne qui y menait, de ses bains quotidiens, qui pourtant la soulageaient. Elle ne pouvait nous cacher les douleurs qu’elle éprouvait pour uriner, ni ses linges intimes souillés. Ses traits s’étaient affaissés, au point qu’elle paraissait dix ans de plus que son âge.
    Nous eûmes, au cours de cet été, l’honneur de recevoir au Théâtre de la Misère, dans l’amphithéâtre du mont Brujula, des officiers d’un brick anglais. On leur offrit le spectacle des  Troyennes , d’Euripide. Ils semblèrent impressionnés par les lieux, la mise en scène, l’interprétation, et encore plus par le fait que des sous-hommes en loques pussent présenter un spectacle de cette qualité.
    — Vous, les Français, me dit l’un d’eux, n’avez pas fini de nous surprendre. D’autres que vous, à commencer par nos compatriotes, se seraient laissés mourir d’ennui plutôt que de travailler à monter une pièce de Shakespeare !
    En reprenant la mer, ils laissèrent à notre magasin des caisses de biscuits, de viande et des harengs séchés, ainsi qu’un tonnelet de whisky.
     
    Les marins de la Garde constituaient dans notre communauté un groupe distinct qui frayait peu avec le vulgum pecus, mais sans nous manifester de mépris.
    Ils vivaient dans un village de baraques, lesquelles se distinguaient des autres par leur propreté, leur confort et la surveillance qu’ils exerçaient eux-mêmes sur leurs biens. Ils avaient leur maison commune, un conseil qui siégeait sous un portrait de Napoléon, barbouillé par l’un des leurs, et deux drapeaux croisés rapportés de Baylen. On célébrait dans ce lieu le culte impérial, on y racontait ses exploits, on y chantait des chansons de marche.
    Un mois à l’avance, ils avaient préparé la Saint-Napoléon. Chaque jour, dans l’intention de célébrer l’événement par des agapes, ils amputaient leurs rations de fèves ou de riz.
    Le jour venu, ils revêtirent leurs tenues délavées et rafistolées, graissèrent leurs bottes et ornèrent la maison commune de branchages et de fleurs. Durant ce festin dont je ne pus obtenir le détail, ils discutèrent, chantèrent en chœur et burent au  c á ntaro

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