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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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Lardier, un Provençal à grosse moustache et au verbe coruscant, boute-en-train incomparable, homme à tous usages, et le timonier Ducor, moins brouillon mais plus réaliste.
    Nous allions faire oublier les spectacles improvisés qui faisaient appel aux goûts faciles et grégaires, pour proposer à notre public un répertoire digne, par son choix sinon par sa qualité, du Théâtre-Français.
    Foucault, qui avait la haute main sur cette entreprise, choisit, pour la première,  Philoctète , un drame en vers de La Harpe, un auteur dont il s’était entiché pour l’avoir connu à Paris. Il trouvait cette pièce digne de l’antique ; je la jugeai médiocre et ennuyeuse. Elle raconte, par la voix du personnage éponyme, le meurtre d’un héros de la guerre de Troie, Pâris. Après quelques heures de gloire sous la Révolution, elle était tombée dans l’oubli, entraînant son auteur avec elle. Foucault nous confia que, sa mémoire le trahissant parfois, il avait comblé les vides par des improvisations.
     
    Le soir de la représentation, en présence des membres du Conseil assis au premier rang, il fallut refuser du monde, bien que le spectacle coûtât deux sous. Ducor se tenait en haut de l’échelle pour recueillir l’argent des entrées, la recette étant consacrée aux malades.
    J’étais, avec Lardier, chargé de l’éclairage, constitué d’une rangée de chandelles de résine qui fumaient et puaient, si bien que les toux couvraient parfois la voix des acteurs.
    Les premiers vers avaient de quoi soulever l’enthousiasme du public :
    Nous voici dans Lemnos, dans cette île sauvage
    Dont jamais nul mortel n’habita le rivage …
    Une autre tirade souleva une tempête d’applaudissements ; elle débutait par ce vers prophétique :
    Ils ont fait tous ces maux. Que les dieux les leur rendent ...
    J’avais douté à tort de l’engouement que ce drame pourrait susciter : ce fut un triomphe.
    La suite du répertoire comportait, en alternance, des comédies de Molière et de médiocres vaudevilles dont Lardier était l’auteur. On consacrait à chaque spectacle quelques places du fond aux sauvages cavernicoles. Ils se présentaient non en costume de gala mais vêtus d’une ceinture de feuilles.
    Ces soirées s’étaient vite révélées presque aussi nécessaires que l’eau et le pain, pour assurer un bon niveau au moral des Cabrériens. Les commentaires sur les spectacles allaient bon train dans les allées du Palais-Royal. On arrêtait acteurs et actrices pour les complimenter ou les critiquer. Il n’y avait relâche que lorsque notre situation tournait au drame, Nicolas Palmer nous laissant parfois une semaine sans subsistances.
    Le répertoire faisait une large place à Molière. La mémoire de Foucault, réputée insondable, subvenait tant bien que mal au texte, et les alexandrins étaient souvent boiteux, sans que le gros du public s’en aperçût. Les actrices se comportaient aussi bien sinon mieux que les hommes, surtout dans les scènes sentimentales. Édith, malgré son état de santé de plus en plus précaire, connut un triomphe dans le rôle de Cathos, des  Précieuses ridicules .
    Certains soirs d’été, délaissant la citerne où régnait une chaleur infernale, nous donnions des spectacles devant l’entrée en arc de cercle gigantesque d’une caverne, sur une pente du mont Brujula, avec au répertoire une pièce de Sophocle,  É lectre , dont notre public ne se lassait pas. Des blocs de rochers avaient été disposés en gradins, de manière à constituer une sorte d’amphithéâtre. Ces soirs-là, peu avant la tombée de la nuit, il semblait que les odeurs de la montagne se fissent plus capiteuses et que le vent poussât le navire d’Ulysse vers notre île.
    Nous avions donné un nom à notre troupe : le Théâtre de la Misère…

4
Le devoir d’évasion
    Nous organisâmes une soirée de gala en l’honneur de ceux des nôtres qui étaient revenus de Minorque.
    Certains, qui avaient donné des spectacles dans le lazaret de Mahon et avaient l’habitude de la scène, s’étaient pris au jeu, se montrèrent sensibles à l’honneur que nous leur faisions et promirent de nous faire profiter de leurs talents. Ils nous furent d’un grand secours car notre public, de plus en plus exigeant, réclamait sans cesse des nouveautés et de la qualité.
    Une ambition partagée nous incita

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