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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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espagnole, comme si nous allions finir nos jours dans ce pays. Quelques femmes venaient de temps à autre nous tenir compagnie…
    — Des femmes ! s’écria Auguste.
    — Oui, mais pas du premier choix, hormis quelques-unes. Une certaine Margarita faisait tourner les têtes et les cœurs et valser les  pesettes . Une autre, Pepa, dansait la seguidilla et le fandango, interdits par l’Inquisition.
    Il nous parla de la nourriture :
    — C’était l’abondance, mes amis, sinon la qualité. Avec la maigre solde attribuée par les autorités nous pouvions nous procurer un complément de vivres, du vin et du tabac, auprès d’un revendeur, sous-officier de la garde wallonne, marié à une Andalouse.
    Les prisonniers avaient payé au prix fort leur décision audacieuse de fêter la Saint-Napoléon, le 15 août précédent.
    Ce jour-là a été marqué par un festin précédé de toasts portés à l’Empereur et l’Impératrice, de vivats et de chansons. Le gouverneur n’a pas apprécié cette marque de patriotisme, qui faisait injure à son sens de l’hospitalité et à son pays d’adoption. Le châtiment ne s’est pas fait attendre : une réduction de notre solde. Un rude coup, d’autant que le séjour d’une escadre anglaise avait fait monter le coût des denrées.
    Cette mesure sévère avait suscité parmi les prisonniers un tel tollé qu’il avait fallu faire appel à la troupe. Cette intervention apaisa le mouvement de révolte sans ramener la sérénité dans les esprits.
    La guerre s’était intensifiée dans la Péninsule depuis la prise de Gérone par les armées impériales, deux ans avant, après un siège de sept mois. Cette situation avait aggravé la condition des détenus du lazaret, le gouvernement de la Péninsule réclamant de plus en plus de sacrifices de la part des autorités et de la population. Un prêtre de la paroisse de San Luis, qui prêchait la soumission à ces mesures, avait été lapidé.
    — Nous avons connu des jours difficiles, conclut Gille, mais avec un espoir tenace : que la chute de Gérone entraînerait un échange de prisonniers. Il n’en a rien été, comme vous le savez, et, de plus, nos rations sont allées en diminuant, jusqu’à rappeler celles de Cabrera, cet étalon de la misère humaine.
    Nous n’avions pas vu passer le temps. Alors que nous écoutions le récit de Gille, la nuit était venue. Il avait rapporté quelques cigares de Mahon et nous les offrit. Ce seul présent eût suffi à nous réjouir de son retour.
    Gille s’étira en bâillant et nous dit :
    — La guerre dans la Péninsule devrait s’achever bientôt. Des deux côtés, les armées s’épuisent sans résultat. L’Empereur a jeté soixante mille hommes de plus dans cette fournaise, mais les Espagnols ont des réserves humaines inépuisables et les Anglais ne les laissent pas manquer d’armes. J’ai honte d’y croire, mais il suffirait d’une grande bataille perdue par l’Empereur pour que, la paix revenue en Espagne et sur le continent, sonne l’heure de notre libération. Mes amis, cela me semble inéluctable. M’en voulez-vous de vous faire cette confidence ?
    Nous lui en voulions d’autant moins que nous partagions son avis. Il se leva, monta sur la murette et, face à la mer où traînaient encore les derniers feux du soir, il mit ses mains en porte-voix et s’écria :
    — Vive l’Empereur, nom de Dieu ! Et merde pour le roi d’Angleterre !
     
    Le goût affleurant dans notre peuple de réprouvés pour l’éducation et les arts démontrait que l’homme ne vit pas que de nourritures terrestres et que son esprit, quelles que pussent être sa condition et ses facultés intellectuelles, transcende les préoccupations plus triviales. Il ne s’était pas passé un an, sur cette île maudite, sans que notre solitude et l’ennui qui nous accablait aient engendré une réaction salutaire.
    Nous avons été, Auguste, Gille et moi, parmi les premiers à prendre conscience de la nécessité de nous libérer d’une sujétion obsessionnelle : notre survie, en créant des conditions favorables à un mouvement intellectuel et artistique.
    Avec le concours d’un groupe d’officiers, nous nous sommes mis au service de la communauté pour réunir des musiciens et des choristes, organiser, sous la direction de Gille, des cours de dessin, et d’écriture pour les

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