Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
Vom Netzwerk:
l’Angleterre nous honora d’une visite inattendue. Elle nous livrait un contingent d’officiers et de sous-officiers venus de Minorque. J’eus une grosse émotion en me disant que notre ami Gille pouvait se trouver parmi eux.
    Je m’avançai sur la jetée pour en avoir le cœur net.
    Ces anciens de Cabrera ne paraissaient pas avoir souffert de leur séjour dans le lazaret de Fort-Mahon. Ils étaient vêtus d’uniformes pas trop avachis et rapiécés et leur mine n’inspirait pas la pitié. Je reconnus Gille au chapeau qu’il agitait en sautillant. À peine débarqué, il fendit le groupe pour me rejoindre et, radieux, tomba dans mes bras.
    — Je dois te l’avouer, Laurent, je ne comptais plus vous revoir, mais la perspective de retourner dans ce bagne n’avait rien qui pût me réjouir. Je suis à la fois ravi et navré. Si j’avais été certain de ne pas vous retrouver, j’aurais sombré dans l’affliction.
    Gille passa au contrôle, reçut sa ration et me suivit, sans cesser de babiller, jusqu’à la Malmaison, où il fut accueilli par des vivats et des embrassades. Édith puisa dans nos réserves pour lui préparer un repas digne du retour de l’enfant prodigue.
    — Il ne nous a fallu qu’une nuit, nous dit-il, pour passer de Minorque à Cabrera. Une nuit, mes amis, interminable, à l’idée que nous allions de nouveau connaître une vie misérable.
    Il nous apprit que nous devions ce retour à la junte : elle avait décidé, à la suite de plaintes répétées, de vider notre île de la bande des prisonniers de droit commun pour les installer dans la forteresse de Mahon.
    La description qu’il nous fit de la vie dans sa « résidence » me parut née de son imagination, que je savais fertile. La rade ? Une réplique de la Corne d’or de Constantinople. La ville ? D’une blancheur hellénistique. Le port ? Une forêt de navires de toutes nations qui rappelait Marseille. Les  huertas  de l’arrière-pays, avec leurs moulins à vent ? Les collines éblouissantes de l’Andalousie…
    Auguste interrompit ce dithyrambe en lui demandant, le décor planté, ce qu’il en était de la pièce.
    Le principal acteur en était le gouverneur, un officier, français d’origine, don Luis Babellon. Ses premières paroles, en accueillant les prisonniers venus de Cabrera, avaient été pour regretter les rigueurs de la quarantaine qui venait de leur être imposée, et leur annoncer qu’il ferait tout son possible pour leur rendre le séjour supportable.
    À peine débarqués, les nouveaux venus avaient été dotés d’articles de première nécessité : lits de camp, ustensiles de toilette, vêtements de corps… Ils apprirent qu’ils seraient libres de se promener sur cet îlot, le lazaret lui-même n’étant considéré que comme un dortoir. À vrai dire, cette liberté avait ses limites, le tour de l’île pouvant se faire en moins d’une heure sans forcer le pas. La ceinture de falaises qui l’entourait rendait difficile, voire impossible, une évasion.
    — Nous avions en permanence, ajouta Gille, le spectacle de la rade, où les navires allant et venant nous évitaient l’ennui que nous redoutions. Nous passions des heures à les regarder, à saluer les équipages, qui nous répondaient dans toutes les langues, sauf le français, cela va de soi.
    Modèle du genre, le lazaret avait été construit sous le roi Charles IV, avec le souci de rendre la vie agréable aux occupants. Outre la partie réservée aux dortoirs et aux cuisines, des locaux étaient consacrés à la bibliothèque, aux archives, à une salle de jeu et d’armes et à l’infirmerie. Il rivalisait en confort, disait-on, avec celui de Marseille.
    — Nous avions même à notre disposition un aumônier qui officiait dans une  hermosa capilla , une chapelle richement décorée, sise dans un cimetière peu occupé.
    Chaque matin, les prisonniers étaient conduits sous étroite surveillance au bain, dans une crique ouverte entre deux falaises, le seul endroit qui pût permettre une évasion. Un prisonnier s’y était risqué. Il avait nagé vers le large et avait disparu avant d’atteindre la sortie du port.
    — Nous passions quelques heures chaque jour, poursuivit Gille, à nous exercer au sabre et à l’épée, à écouter les exposés des plus savants d’entre nous, à nous initier à la langue

Weitere Kostenlose Bücher