Les proies de l'officier
l’infanterie... Margont jeta son épée à terre, comme un fuyard paniqué. Ce geste convainquit le hussard qu’une victoire facile lui était offerte et il ne détourna pas son cheval. Mais, au dernier moment, Margont fit volte-face. Le Russe s’était dressé sur ses étriers, sabre brandi. Margont bondit sur lui et s’agrippa à sa pelisse. Le hussard, penché sur le côté pour assener son coup, s’en trouva déséquilibré et les deux hommes chutèrent. Margont se releva aussitôt et courut vers le cheval tandis que le hussard se remettait de sa commotion, mais pas encore de sa surprise. Il enfourcha la bête et la lança au galop, riant aux éclats. Il aperçut Delarse, seul aux prises avec trois hussards telles des guêpes attirées par ses galons couleur miel. Margont aurait tenté de le secourir... s’il avait été armé. Il dut se contenter de chercher où les hussards russes pouvaient bien ranger leurs pistolets d’arçon. Le colonel fut stupéfiant. Parfaitement droit sur sa monture, il plongea son sabre dans le flanc de son adversaire de droite. Il dégagea aussitôt sa lame et pivota avec vivacité pour sabrer au visage le cavalier qui l’assaillait sur la gauche. Le dernier Russe, en retrait, pointa un pistolet dans le dos du colonel. Darval, l’officier adjoint de Delarse, qui venait lui-même d’en finir avec un autre hussard, abattit son sabre sur la pelisse jetée sur l’épaule gauche du Russe. Cette mode vestimentaire populaire protégeait le bras non défendu par le sabre. La lame fendit le vêtement, mais le coup, fortement amorti, n’entama que peu profondément le muscle. Le hussard tourna bride et s’enfuit. Margont était abasourdi. Lui qui passait son temps à reprocher à ses amis de juger les gens sur les apparences et d’accumuler les a priori, voilà que Delarse lui donnait involontairement une leçon sur le sujet ! Margont avait considéré que le colonel était moribond, mais il devait reconnaître qu’en cet instant, ce « mourant » se révélait bien plus vivant que les deux hussards qui l’avaient pris à partie. Il réhabilita immédiatement Delarse en tant que suspect à part entière.
La situation restait critique : la brigade Huard déferlait en désordre sur la position française. Un capitaine galopa jusqu’à Margont et le bombarda de questions.
Où se trouvait le général Huard ? Quelles étaient les forces ennemies ? Margont ne répondait pas. Il n’était plus qu’une carcasse vide contemplant fixement un homme qui gesticulait et haussait la voix. L’officier s’éloigna au trot en secouant la tête. Des fantassins russes et français se livraient des duels à la baïonnette, brisaient des corps à coups de crosse, se fusillaient sans relâche... Les artilleurs, en habit et pantalon bleus, se regroupaient autour de leurs précieux canons. Une mêlée confuse se déroulait dans des volutes de poussière. Les hussards avaient changé de tactique. Ils ne harcelaient plus, ils chargeaient en sabrant tout ce qui était bleu. Leur dextérité impressionnait. Margont en aperçut un qui se frayait un passage au galop. Un coup de sabre horizontal sur la droite, un canonnier s’écroula, un coup oblique sur la gauche, un soldat tomba à genoux en portant ses mains au visage, un coup vertical sur la droite et un lieutenant partit en arrière... Son cheval eut un grand tressaillement et s’affaissa sur son arrière-train. Un cheval assis comme un chien ! Margont n’avait jamais rien vu de semblable. La bête saignait abondamment du flanc droit. Quelqu’un vint le saisir par les bras et le secoua avec frénésie.
— Mon capitaine, faites quelque chose ! Sauvez-nous !
C’était le jeune soldat qui lui avait reproché de ne pas arborer sa Légion d’honneur. Des larmes inondaient ses joues. Il énonçait des propos sans queue ni tête. Il conclut en disant qu’il fallait s’enfuir, mais, au paroxysme de l’égarement, s’élança droit sur les Russes. Un mousquetier exécuta un moulinet avec son arme et lui flanqua un coup de crosse sur la nuque, l’expédiant à terre. Le Russe brandit sa baïonnette, mais Margont se rua sur lui et le percuta de plein fouet, le faisant chuter à son tour. Il ramassa le mousquet et martela de coups de crosse son adversaire.
— Assez ! Assez ! Assez ! hurlait-il, comme si c’était lui qui recevait les coups.
Et il frappait, il frappait. Le Russe plaçait ses bras devant son visage ? Il lui
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