Les proies de l'officier
emmenait sa compagnie avec intrépidité. Celui-ci avait perdu son shako. Il courait, sabre brandi à bout de bras. Margont ne voulait pas que cet officier se fasse tuer. Le même grade, le même âge, le même enthousiasme qui l’animait lui-même lors de ses premières batailles, avant Eylau et l’Espagne : cet homme était son reflet dans un miroir russe. Une balle dut atteindre ce grenadier, car il s’effondra sur le flanc. Margont sentit qu’on le tirait par la manche.
— Faut partir, mon capitaine, ça va mal ici, déclara une voix tendue.
— Laisse-le, il est déjà mort ! lança quelqu’un d’autre.
La manche fut libérée. L’officier russe se redressa en prenant appui sur ses coudes. Margont se remit à battre en retraite. Il aperçut le colonel Delarse à la lisière du bois et se précipita vers lui. Delarse était furieux.
— Maudits Russes ! Ils sont comme les balançoires : plus on les repousse fortement en arrière et plus ils reviennent violemment en avant ! Et reprenez donc votre souffle, capitaine Margont, vous voilà plus asthmatique que moi.
— Mon colonel, où est le général Delzons ? Où est la brigade Roussel ? Et les brigades de Sivray et Alméras ?
— Tout ce beau monde arrive, capitaine Margont.
Réponse purement formelle, car, visiblement, le colonel n’en savait rien. Margont se retourna et contempla les canons français à l’autre bout de la plaine. Il scrutait les groupes de cavaliers et les va-et-vient des messagers. Quelque part par là-bas se trouvaient le prince Eugène et son état-major. Margont savait que ses chances de survie dépendaient de ce qui était en train de s’y décider. Le prince Eugène lui semblait aussi lointain que Dieu et, en cet instant, plus puissant que ce dernier lui-même. Les Russes talonnaient toujours la brigade Huard. Margont se dit qu’il fallait continuer à courir. Courir jusqu’à l’autre bout de la plaine, jusqu’aux canons français. Là-bas étaient les siens : des batteries, des troupes fraîches qui avaient hâte d’en découdre, Eugène, Murat... Il aperçut alors des hussards russes qui se déployaient au galop dans la plaine. Les Français se trouvaient pris entre le marteau et l’enclume. Le colonel Delarse lança son cheval au trot. Il effectua une boucle et rejoignit Margont après une brève cavalcade au milieu des débandés, cavalcade qui n’avait rallié personne.
— Faisons-nous jour à travers eux ! s’exclama-t-il en désignant les cavaliers de son sabre.
Les hussards chargèrent à ce moment-là. Les fantassins français étaient trop désorganisés pour pouvoir se former en carré, or cette formation permettait de se protéger efficacement contre la cavalerie. La sanction fut immédiate : les cavaliers se faufilèrent entre les groupes épars, en encerclèrent quelques-uns et se mirent à les sabrer de tous les côtés à la fois. Certains hussards s’acharnaient avec rage, comme s’ils voulaient massacrer la brigade entière à eux seuls. D’autres se contentaient de galoper vers une poignée d’hommes, tirant un coup de pistolet avant de donner un coup de rênes pour décrocher. Cette tactique portait ses fruits : les groupes ainsi harcelés étaient grandement ralentis. L’infanterie russe finissait par les rattraper et les anéantissait. Margont perçut un bruit de galop derrière lui. Son voisin de gauche s’écroula tandis qu’un hussard le dépassait, un sabre sanglant à la main. Un autre hussard surgit à sa suite. Il se dressa sur ses étriers, se retrouvant presque debout, sabre levé vers le ciel. Margont brandit son épée au-dessus de sa tête et parvint à dévier le coup. Le cheval, poursuivant sa course, rompit l’engagement et les deux hommes en furent quittes pour une douleur au poignet. Un autre cavalier, arrivant par la droite, pointa son sabre vers Margont et lança son cheval au galop. Margont fit face et fixa cette lame qu’il devait parer. Le hussard se déporta au dernier moment et l’abandonna. Margont se retourna et eut la vision effrayante de l’infanterie verte arrivant au pas de course, hérissée de baïonnettes et maintenant proche de lui. Il s’élança à nouveau vers ses lignes. Un hussard lança à son tour son cheval dans sa direction. Si Margont ne s’arrêtait pas pour lui faire face, ce cavalier le tuerait. Et s’il s’arrêtait, son adversaire décrocherait, comme le précédent, le laissant aux mains de
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