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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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pieds.
    — Irénée, nous nous sommes trop avancés. Nous risquons de nous faire envelopper.
    Saber avisa la course irrésistible des Français qui emportait avec elle mousquetiers russes, chasseurs à pied et hussards, tel un fleuve des brindilles et des branchages.
    — C’est clair. Mais il faut bien les poursuivre pour les empêcher de se reformer.
    — Et nous, il ne faudrait pas que nous nous reformions, peut-être ?
    — Tout à fait d’accord. Rejoignons Pégot ou Delarse.
    — Et où sont-ils, ceux-là ?
    — Où ? Mais devant, quelle question !
    Les deux hommes se mirent une fois de plus à courir. Saber avait un tic bizarre, il posait parfois la main sur un tronc d’arbre. Il voulait « toucher du bois » là où il se battait. Mais il aurait préféré se faire étriper plutôt que d’avouer cela. Quelques dizaines de mètres plus loin, ils atteignirent la lisière du bois. Le colonel Delarse allait et venait au trot pour regrouper ses troupes. Il chevauchait un superbe étalon russe. Une victoire pouvait autant désorganiser des régiments qu’une défaite. Delarse faisait signe aux retardataires de presser le pas et aux impatients de ralentir. Des fantassins de l’infanterie légère rassemblaient des prisonniers. Un lieutenant du 8 e léger brandissait un sabre des hussards russes.
    — Victoire ! Victoire !
    Le mot magique ensorcela les Français. L’acclamation se propagea plus vite qu’une traînée de poudre et des fusils et des sabres furent brandis vers le ciel. Margont ne put s’empêcher de sourire. Il était vivant et on avait gagné ! Le temps de se regrouper et on allait se lancer sur les talons des Russes pour les capturer comme on cueillerait des fleurs.
    — À Moscou ! cria Saber.
    — A Moscou ! répondit en choeur toute la ligne.
    — Vive l’Empereur ! Vive le prince Eugène !
    Un proverbe disait qu’un soldat ou un officier subalterne ne voyait pas plus loin que le bout de sa compagnie. C’était on ne peut plus vrai. Car la brigade Huard, si elle avait effectivement enfoncé les Russes, s’était avancée trop vite et trop loin. Elle se retrouvait au beau milieu de cette armée russe, à l’écart de tout soutien. Le risque d’encerclement était la sanction de son audace. Margont perçut un mouvement dans le bois qui leur faisait face, séparé d’eux par une clairière large de deux cents pas. Quelque chose bougeait là-dedans. Quelque chose de massif. Margont essaya de se convaincre que ce n’était qu’une illusion causée par le vent qui agitait les buissons et les feuillages. Mais ce n’était pas cela. Une sorte de Léviathan des forêts rampait vers eux sous ce camouflage de végétation. Margont ouvrit la bouche, mais quelqu’un le devança en hurlant :
    — Ils reviennent !

 
    14.
    Des silhouettes apparurent. Il y en avait partout. Elles étaient pressées les unes contre les autres.
    — Ils se sont vite ressaisis, murmura Saber d’un ton admiratif.
    Margont savait que son ami se trompait. Les Russes étaient trop nombreux pour qu’il ne s’agisse que des restes des régiments qu’ils venaient d’enfoncer. Eh bien quoi ? On allait encore se battre ? Et alors ? Ce ne sera pas la première fois. Margont réalisa que les shakos de ces Russes-là étaient surmontés d’un long plumet noir. Certains régiments de grenadiers et les carabiniers arboraient cet élément distinctif. Dans un cas comme dans l’autre, cela signifiait qu’il avait affaire à des troupes d’élite. Enfin, l’ennemi se déversa dans la clairière. Des flots et des flots de Russes en rangs serrés. Le bois et les forêts alentour semblaient les vomir.
    Des réserves russes avaient rallié les fuyards et lançaient maintenant une contre-attaque. Les Français ouvrirent le feu et Margont vit les habits verts se maculer de sang et s’écrouler d’un même élan par dizaines. Le contact se fit dans un fracas de détonations et de cris. Margont courait, son épée dans une main et un pistolet dans l’autre. Il ne percevait que ce qui se déroulait immédiatement autour de lui. Un grenadier l’ajusta. Il se rua sur lui, dévia l’arme d’un coup d’épée et lui plongea sa lame dans le torse. Un autre grenadier le chargea pour l’embrocher, mais Margont tira au pistolet dans sa poitrine. Deux grenadiers empalèrent en même temps son voisin de droite tandis que celui de gauche recevait un coup de crosse en plein visage. Margont recula, mais

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