Les proies de l'officier
trébucha sur un cadavre et se retrouva à terre. Tout en se relevant, il dut parer une autre attaque à la baïonnette. Son assaillant brandit son fusil vers le ciel pour lui fracasser le crâne. Avec promptitude, Margont lui donna un violent coup d’épée sur la cheville. Le grenadier s’effondra en hurlant. Un sergent russe, croyant Margont blessé, se contenta de lui assener un coup de crosse sur l’épaule sans même cesser de courir. Margont poussa un cri de douleur. Un grenadier lui passa littéralement sur le corps au pas de course et deux autres Russes bondirent par-dessus ce qu’ils croyaient être un agonisant. Margont sauta sur ses pieds. Il y avait bien encore quelques Français en train de se démener en piquant à la baïonnette ou en faisant tournoyer leur fusil pour assommer deux Russes d’un coup. Mais la plupart s’enfuyaient, balayés par la lame de fond russe. Des bras se levaient pour implorer pitié, des gens à terre se faisaient épingler à la baïonnette... Margont se mit à courir pour rejoindre les siens. Il dépassa un capitaine qui tentait de se relever tout en pointant un pistolet. Cet officier abattit un grenadier et, en représailles, quatre Russes le fusillèrent à bout portant. La confusion était indescriptible. Un Russe courait devant Margont, mais ce dernier se refusait à frapper cet adversaire dans le dos. Tant par pitié que par sens de l’honneur. Mais aussi parce qu’il était terrorisé à l’idée de ressentir lui-même une douleur fulgurante, de chuter, de se retourner et d’apercevoir au-dessus de lui un grenadier brandissant une baïonnette sanglante... Margont poussa en avant le Russe de toutes ses forces et celui-ci s’étala. Margont se retourna. Une nuée de Russes se ruait à leurs trousses. Il aperçut avec effroi un fantassin croate qui accourait vers lui en l’épaulant. C’était bien lui, Margont, qui était visé ! Et par quelqu’un de son propre camp, qui plus est. Il pensa : « Déjà... » Le coup partit et Margont n’entendit plus les hurlements et les crépitements des salves. Le Croate le dépassa au pas de course, le frôlant sans lui prêter plus d’attention que s’il avait été un tronc d’arbre. Margont ne ressentait aucune douleur. La balle l’avait raté. Il voyait encore l’expression de terreur qui déformait les traits de ce soldat. Il se dit que cet homme aurait piétiné sa propre mère sans s’en apercevoir si cette dernière avait eu le malheur de croiser sa route. Les Français se repliaient précipitamment dans le bois qu’ils avaient traversé en vainqueurs quelques instants plus tôt. Trois chasseurs à pied russes surgirent soudainement d’un enchevêtrement de buissons. Ils épaulèrent, mirent en joue tranquillement les Français en déroute et chacun tua le sien. Deux autres apparurent plus loin et firent deux victimes de plus. Et encore un autre, qui rata sa cible. Ils s’étaient dissimulés lors de la débâcle russe et profitaient maintenant du retournement de situation. Chaque fois qu’un chasseur se découvrait, commençait une abominable loterie. Les fuyards continuaient à courir tout en se répétant intérieurement : « Pas moi, pas moi ! » Le coup partait, un homme s’écroulait et les autres soupiraient de soulagement. A cet odieux petit jeu-là, les épaulettes d’officier de Margont lui valaient de multiplier par dix ses chances d’être choisi... Margont s’en remit à sa bonne étoile, mais il faut croire que cette dernière brillait moins que ses épaulettes dorées, car un chasseur caché derrière une souche se redressa brusquement et l’ajusta. Margont tenta le tout pour le tout et se précipita vers le soldat en hurlant. Ce dernier fut déconcerté. Il prit plus de temps que prévu pour viser et ce retard l’énerva. Au moment où il allait enfin faire feu, Margont bondit sur le côté puis changea à nouveau brutalement de direction tout en continuant à courir vers le Russe en criant et en brandissant son épée. Margont était proche, très proche ; le chasseur l’avait dans sa ligne de mire. Margont esquissa un nouveau bond sur le côté. Le Russe anticipa ce changement de direction qui ne vint jamais et tira trop à gauche. Il jeta aussitôt son arme à terre et s’enfuit. Margont s’arrêta pour reprendre son souffle. Il se retourna vers ses poursuivants. Les Russes progressaient en pointant leurs baïonnettes droit devant. Il aperçut un capitaine russe qui
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