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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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pour des raisons « valables », poursuivit-il. Leur patrie, leurs idées, la gloire, pour s’élever socialement... D’ailleurs, en fait, c’est exactement pour ça ! C’est à cause de vos belles idées que vous vous acharnez sur cette enquête pourrie dès le départ alors que nous attaquer à un colonel, c’est nous faire courir le risque de voir nos vies foutues en l’air !
    — Fernand...
    — Foutues en l’air ! D’un simple claquement de doigts, un colonel peut nous faire muter dans un joli petit poste français bien isolé au coeur de la campagne espagnole. Nous relèverons les sentinelles égorgées par la guérilla la semaine précédente avant que nos cadavres soient eux-mêmes remplacés la semaine suivante... Mais un colonel n’a même pas besoin de l’Espagne pour se débarrasser de nous. Il n’a qu’à nous expédier tous les deux pour fourrager et les cosaques s’amuseront à clouer nos dépouilles sur les sapins pour nous transformer en mangeoires à corbeaux.
    — Le prince Eugène nous appuie.
    — Les politiciens et les princes n’appuient jamais qu’eux-mêmes ! Si vous étiez si sûr du contraire, vous auriez dit à notre cher prince que nous suspections un colonel.
    Lefine se mit à rougir comme si les phrases qu’il prononçait lui revenaient aussitôt dans la gorge pour s’y bloquer et obstruer sa respiration.
    — Si on échappe aux Russes, c’est cette enquête qui aura notre peau ! Et ça, vous le savez. C’est ça le pire, c’est que vous le savez ! Mais monsieur le capitaine Margont est un « juste », il ne supporte pas l’idée que des crimes odieux restent impunis. Vous êtes la marionnette de vos idéaux.
    — De toute façon, nous sommes tous la marionnette de quelque chose ou de quelqu’un. Mieux vaut que ce soit de mes idéaux que de la cupidité.
    Margont s’était figé et il avait répliqué d’une voix cinglante. Voir agresser ce en quoi il croyait de tout son être le plaçait sur la défensive. Pour l’instant, il faisait front, mais le déstabiliser plus encore aurait presque pu le rendre dangereux. Lefine sentit cela.
    — Rien ne pourra vous faire abandonner cette enquête. À part une balle entre les deux yeux. C’est radical contre les acharnés. Malgré toutes ces années que vous avez passées avec elles, les grenouilles de bénitier ont oublié de vous dire que les bons Samaritains finissent toujours torturés et mis en pièces par la foule qu’ils voulaient sauver. Et après, ils deviennent des martyrs et les gens leur allument des cierges pour leur réclamer un service.
    Il y eut quelques secondes de silence que Margont finit par briser.
    — Je pense que je n’ai pas le droit de te demander plus que ce que tu as déjà fait. Tu es libre de laisser tomber cette histoire.
    Fernand sourit. Un sourire triste, plus déprimant que des larmes.
    — Je peux me sortir de cette histoire quand je veux et ça ne m’empêchera pas de dormir. C’est vous que je veux tirer de là avant qu’il ne soit trop tard.
    — C’est peine perdue.
    — Mais quel fanatique ! C’est absurde ! Pourquoi risquons-nous notre vie pour quelques crimes alors que le monde entier est en train de s’égorger ? Trouvez-moi une seule raison sensée de continuer ?
    — Si nous n’arrêtons pas cet homme, il se peut qu’il recommence.
    — Et alors ? Un mort supplémentaire, ça ne fera jamais que trois pelletées de terre de plus dans une fosse commune. Quelle différence cela fera-t-il ?
    — Cela en fera une aux yeux des femmes que nous aurons sauvées.
    Lefine s’assit sur le bord du lit.
    — Oui. Ça, ça a du sens.
    Alors, brutalement, il se lança dans la suite de son compte rendu, parlant vite pour ne pas laisser le temps à ses sombres pensées d’interrompre à nouveau le cours de sa vie.
    — Le colonel Maximilien Barguelot a trente-neuf ans. Son père est mort quand il était enfant. Sa mère et ses deux soeurs vivent à Amsterdam alors que lui est installé à Paris et mène un train de vie luxueux. Il a fait l’école militaire de Pont-à-Mousson puis un grand nombre de campagnes. Il s’est illustré à la bataille d’Austerlitz où il aurait été blessé, mais il n’évoque jamais ce souvenir. Il a servi en Prusse, en Espagne, en Autriche... Il bénéficie d’une excellente réputation auprès des officiers... qui ne servent pas sous ses ordres. Il n’est pas aimé par ses hommes, car il les méprise ouvertement.

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