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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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la dépouille et Achille la traînerait derrière son char pendant douze jours autour de la tombe de son ami Patrocle, lui-même tué au combat par Hector.
    Pirgnon évoqua Hercule et ses travaux mythiques, Ulysse et les péripéties de son odyssée... Sa connaissance de la mythologie antique semblait aussi inépuisable que la corne d’abondance. Il était passionné et son enthousiasme se révélait communicatif. L’Antiquité le faisait littéralement rayonner. Comme le temps passait, l’adjudant vint s’assurer que tout allait bien. En fait, c’était de son côté que tout allait mal : dans l’escalier, les soldats croyaient que Margont épuisait la bourse de Pirgnon et l’on se trouvait au bord de l’émeute. Pir-gnon ordonna de faire entrer le démarcheur suivant et se tourna vers Margont.
    — Capitaine, je dois vous demander de me laisser, mais je compte absolument sur vous pour mon Cercle de Moscou.
    Margont salua et s’en alla. Il était enfin parvenu à rencontrer l’insaisissable Pirgnon, mais ne se sentait guère plus avancé pour autant. Delarse, Barguelot et Pirgnon : il n’avait pu éliminer aucun des trois. Et il fulminait de ne toujours pas avoir eu l’occasion de discuter avec Fidassio. Il chassa ses interrogations en déambulant dans les rues, gorgeant ses yeux d’architecture russe, de coupoles dorées et des vergers qui tapissaient les ravins entourant la ville.

 
    19.
    À vingt heures précises, Margont, vêtu de son uniforme de parade, gagna le salon des Valiouski. Quelle prestance il avait avec son pantalon d’un blanc éclatant, son habit bleu foncé immaculé, ses boutons dorés, ses épaulettes et son assurance. Il fut déçu de s’apercevoir qu’il en était exactement de même pour ses amis. Pis, le rouge écarlate de Fanselin tranchait par son originalité et sa vivacité. Un domestique en livrée vert sapin et en bas de soie blancs les pria de bien vouloir excuser le comte et les deux comtesses qui n’allaient pas tarder. Les murs de la pièce étaient recouverts de panneaux de bois brun. Cela oppressait Lefine qui avait l’impression de se trouver dans la cabine d’un navire. Il se tenait donc à la fenêtre et, ayant repoussé les lourds rideaux jaunes à franges argentées, il contemplait le va-et-vient dans les rues. Piquebois détaillait une collection de pipes, éperdu d’admiration devant l’imagination sans fin déployée par leurs créateurs pour en faire varier les tailles et les formes. Il se demandait s’il était possible d’agir de même avec la vie, si l’on pouvait conférer à chaque jour une coloration unique. Saber, confortablement installé dans un fauteuil, promenait ses doigts sur les touches d’un clavecin, se contentant de monter ou de descendre la gammé. Fanselin, lui, semblait fasciné par une mappemonde qu’il ne se lassait pas de faire tourner.
    — Il y a tant à voir... Vous avez beaucoup voyagé ? demanda-t-il.
    — Non. Il y a trop de bleu sur les cartes, décréta froidement Lefine sans détourner la tête.
    — Apparemment, il existe entre les États-Unis et le Canada des lacs grands comme des mers. C’est à peine croyable, il faut absolument que j’aille voir cela de mes propres yeux.
    Margont s’installa entre une grande harpe et un pare-feu. Il se leva aussitôt pour se diriger vers une petite bibliothèque installée dans un angle mal éclairé de la pièce.
    — Il a mis moins d’une minute à la trouver, plaisanta Saber.
    La littérature française se trouvait à l’honneur : Voltaire, Rousseau, La Bruyère... De plus, ces ouvrages étaient en français. La société russe se montrait francophile excepté sur le plan des idées politiques, qu’elles soient révolutionnaires ou impériales.
    Le domestique réapparut et annonça :
    — Leurs Excellences le comte Valiouslti, la comtesse Valiouska et la comtesse Natalia Valiouska.
    Le comte avait gardé les mêmes vêtements. Il n’était pas homme à perdre du temps à se changer six fois par jour. Son épouse portait une toilette violette élégante. Un médaillon en ivoire à l’effigie de la Vierge proclamait ses convictions face aux « païens républicains ». Elle paraissait vieillie et fatiguée, mais digne, digne surtout et toujours. Ses cheveux gris tirés vers l’arrière accentuaient la sévérité de ses traits, sévérité encore renforcée par son maintien rigide et son regard hautain. Cependant, l’âge avait entamé son lent et

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